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Le rapport Sextant : morceaux choisis, 
avec les commentaires de SUD

mercredi 16 janvier 2013

Au moment où de nombreux salariés sont catastrophés par les premières informations concrètes sur les projets de la direction concernant la « Région France », nous revenons sur le rapport commandé par le Comité d’entreprise au cabinet Sextant. Ce rapport permet de ne pas discuter dans le vide, puisqu’il fournit un « diagnostic des comptes annuels 2011 et prévisionnels 2012 ».

Dans le présent texte nous résumons les principaux points de ce gros document, qui fait au total 138 pages.

1 : L’esprit du rapport et la relation entre l’AFP et l’Etat

Pour SUD, s’il ne faut pas occulter le caractère commercial de l’activité de l’AFP, il faut aussi et surtout que ses activités commerciales correspondent réellement à sa mission d’intérêt général. Or cette mission ne peut se réduire à des considérations techniques ou économiques : elle ne peut reposer que sur le contenu et la qualité de ses informations.

Autrement dit, l’AFP n’a pas à chercher à tout prix « la croissance » dans tel ou tel pays ou sur tel ou tel type de produit : elle doit surtout remplir sa mission d’intérêt général telle que définie dans les deux premiers articles de son statut.

Le cabinet Sextant décrit comme « le paradoxe de l’AFP » le fait que « une année riche en actualité n’est pas automatiquement synonyme de progression du c.a. ». En réalité, ce n’est pas tant un paradoxe qu’une donnée de base : l’actualité est le métier même de l’AFP !

Autrement dit, si l’activité de l’AFP doit être considérée comme une « mission d’intérêt général » selon la terminologie de Bruxelles, c’est bel et bien parce que la fourniture d’une « information complète et objective » et surtout indépendante de tout « groupement idéologique, politique ou économique » (Selon les phrases employées dans les articles 1 et 2 des statuts de l’AFP) n’est pas forcément rentable. La démocratie a son prix. L’information des citoyens aussi.

Malheureusement, le rapport Sextant ne tient pas compte de cette relation cruciale entre l’AFP et l’Etat - au point qu’à partir de la page 7, l’ensemble des chiffres fournis ne porte que sur les données « hors convention avec l’Etat ». Sans forcément le vouloir, les experts confortent ainsi l’approche de la direction actuelle, dont la communication donne parfois l’impression que cette fameuse convention n’existe tout simplement pas.

Exemple : le dossier de presse publié par l’AFP le 28 novembre 2012 à l’occasion du lancement de nouveaux produits destinés à la presse française, dans lequel on peut lire que « 56% du c.a. de l’AFP est réalisé sur le marché mondial de l’information ». La direction omet carrément de préciser que ces 56% sont calculés sans tenir compte de l’apport de la convention avec l’Etat, qui a fourni tout de même 40,8% de notre chiffre d’affaires en 2011 et une proportion semblable en 2012 (Cf. notre tableau).
Cet « oubli » - destiné à montrer que la clientèle de l’AFP est de plus en plus internationale - a même induit en erreur une bloggeuse du site « Electron Libre », qui a sorti sa calculette pour conclure que la presse française ne fournissait plus que 4% des revenus de l’agence ! Cf. http://electronlibre.info/afp-et-medias-lalliance-francaise-entre-malades/.

Ceci dit, l’année qui vient de commencer va obliger la direction, tout comme les syndicats et associations de l’AFP, à s’intéresser de près à la convention avec l’Etat, qui selon les nouvelles règles imposées par la Commission européenne devra être divisée entre une partie « commerciale » et une partie « subvention », cette dernière justifiée par la ou les fameuses « mission(s) d’intérêt général ».

Au moment où on voit même des députés socialistes proposer que l’Etat subventionne une deuxième agence de presse - l’entreprise en difficulté Sipa News - il est plus que jamais nécessaire de souligner le caractère unique de l’AFP !

Pour SUD, ce n’est pas en regardant l’activité de l’agence sous la seule optique de la « concurrence », voire de la « compétitivité », et en cherchant à occulter la relation avec l’Etat qu’on pourra avancer vers une AFP plus respectueuse de l’ensemble de ses usagers [1], y compris de ses salariés !

2 : Les recettes

2-i : L’activité de l’AFP par grande région - le poids réel de la France

Le tableau ci-dessous, confectionné par nos soins à partir du rapport Sextant, donne une meilleure idée du poids de l’ensemble des usagers - commerciaux plus Etat - dans le chiffre d’affaires total de l’agence. Contrairement au Cabinet Sextant, nous avons choisi de calculer les pourcentages en incluant la part de l’usager « Etat » !

en millions d’euros201020112012
Chiffres d’affaires total282,0279,6283,6
dont l’usager « Etat »111,5 (39,5%)113,6 (40,8%)115,3 (40,7%)
dont autres usagers « France »78,7 (27,9%)76,3 (27,3 %)74,8 (26,4%)
Total usagers « France »190,2 (67,4%)189,9 (67,9%)190,1 (67,0%)
Europe (hors France et filiales Allemandes)25,525,525,7
Filiales allemandes14,212,513,9
Reste du monde (« grand international »)49,249,549,8
Total usagers « étranger »88,9 (31,5%)87,5 (31,3%)89,4 (31,5%)
Ventilation « grand international » :
Asie (1)20,820,620,1
Moyen-Orient9,59,011,1
Afrique4,04,33,2 (2)
Amérique du Nord9,810,39,7
Amérique Latine5,15,35,7

NB : Dans ce tableau comme dans tous ceux qui suivent, les données 2011 sont des estimations et celles de 2012 proviennent du budget de l’agence pour cette année.
A noter que si les pourcentages du tableau ci-dessus ne font pas tout à fait 100, la différence vient de l’activité de certaines filiales et des « événements spéciaux », surtout sportifs.

(1) Le contrat avec l’agence japonaise « Jiji » compte pour environ 45% dans le total « Asie ». En 2012, les recettes Jiji ont baissé d’environ 10% suite à une renégociation du contrat.
(2) La baisse du chiffre « Afrique » dans le chiffre d’affaires budgété en 2012 résulte principalement du transfert des pays du Maghreb vers la région « Moyen-Orient ».
Pour cause de crise dans les médias, entraînant la renégociation à la baisse de nombreux contrats, le rapport prévoit que les recettes commerciales « France » auront fondu d’environ 5% (4M€) entre 2010 et 2012.

Le tableau ci-dessus montre, nous semble-t-il, qu’il serait illusoire de s’attendre à ce que telle ou telle région, ou tel ou tel pays, apporte comme par magie de quoi combler cette perte. D’autant que la crise de leur modèle de financement frappe les médias un peu partout, et pas uniquement en France.

2-ii : Les recettes par produit et par type de contrat

Du point de vue de ses revenus, le rapport souligne que le modèle économique de l’AFP est « largement basé sur l’abonnement, et... a vocation à le rester ».

En effet, le chiffre d’affaires « hors convention avec l’Etat » était de 164,7 millions d’euros en 2011 et les abonnements de tous types comptaient pour pas moins de 149,9 M€, soit 91% de ce total.

L’autre grand modèle commercial - la vente à l’unité - comptait pour 14,6 millions d’euros en 2011, soit 8,9% du chiffre d’affaires total - mais 35% du chiffre d’affaires mondial de la photo.

NB : la petite part du chiffre d’affaires non comptabilisée ci-dessus provient des « événements spéciaux », notamment sportifs.

A noter que le pourcentage du chiffre d’affaires photo réalisé grâce à des ventes à la pièce est très variable selon la région : en France il atteint carrément 48% en 2011, contre 45% en Europe, 20% chez les filiales allemandes et 21% dans le reste du monde (« grand international »).

Reste à savoir si cette évolution vers la vente à la pièce plutôt que la vente par abonnement est une bonne chose pour l’AFP. « Malgré sa bonne dynamique, la vente de photos à la pièce demeure structurellement marginale », explique Sextant.

Pour ce qui concerne le chiffre d’affaires par type de produit, le texte du Cabinet Sextant permet de relativiser le discours de la direction pour ce qui concerne les produits nouveaux tels que le multimédia et la vidéo. Non pas que ces derniers ne soient pas importants, mais ils ne sont pas en train de remplacer le bon vieux service général, qui alimente notamment la bonne vieille presse papier...

« Entre 2010 et 2011, la baisse du chiffre d’affaires réalisé sur le service général n’a pas été compensée par les produits en croissance, notamment la photo et la vidéo », explique le rapport, qui est nettement plus positif pour ce qui concerne le multimédia.
Voici les principales données « par ligne de produits », fournies par le rapport Sextant, toujours « hors convention avec l’Etat, et hors événements spéciaux » :

En millions d’euros201020112012
Service général83,480,477,2
Service économique8,68,68,6
Sports (1)8,27,68,4
Multimédia14,214,915,8
- dont Journal Internet10,811,912,8
- dont Infographie (2)3,23,03,0
Vidéo5,46,79,4
Photo40,541,241,8
Technique5,54,74,5

(1) Chiffre d’affaires « sports » : le rapport note qu’il est difficile de l’évaluer avec précision sachant que dans la plupart des langues, la production en question est intégrée aux fils du service général.
(2) La direction choisit d’inclure l’infographie dans le périmètre des « produits multimédia », sans différencier entre l’infographie pour les médias traditionnels et l’infographie pour le multimédia. Comme le signale le Cabinet Sextant, la classification opérée par la direction entre les différents types de produits laisse parfois à désirer...

Absents de ce tableau : les résultats de la filiale « AFP Services », qui sont clairement en deçà des attentes de la direction. Alors que le budget 2011 avait prévu 4,8M€ de recettes pour de cette filiale, le chiffre réel n’était que de 2,1M€, explique le Cabinet Sextant.

Pour SUD une activité telle que celle d’« AFP Services », qui entretien des liaisons dangereuses entre « communication » et journalisme, n’est pas compatible avec le statut d’indépendance de l’AFP.

2-iii : Le chiffre d’affaires par langue de travail (Sce général, 2011)

Voici les chiffres fournis par Sextant pour ce qui concerne la part des différentes langues de travail de l’AFP dans le chiffre d’affaires du Service général au niveau mondial en 2011 (en millions d’euros, et toujours sans tenir compte de l’usager « Etat ») :

FrançaisAnglaisAllemandEspagnolPortugaisArabe
53,0 (66%)18,3 (23%)3,6 (5%)1,5 (2%)0,3 (0,04%)3,6 (4%)

NB : la majeure partie des services fournis par l’AFP en langue portugaise n’apparaît pas dans ce tableau, car ils sont surtout de type « multimédia » et « vidéo ». Ce qui nous semble discutable vu l’importance de cette langue - et les ambitions affichées par la direction au Brésil.

Concernant le chiffre d’affaires du service général en anglais, le rapport pointe une baisse depuis trois ans : il était de 19,0 millions d’euros en 2010, 18,3 millions en 2011 et 17,5 millions selon le budget 2012.

3 : Les forces vives (c’est nous !)

Nous avons déjà souligné l’une des conclusions centrales du rapport Sextant : « Le modèle RH de l’Agence France-Presse repose sur un socle massif de contrats précaires ».

Le rapport note que si « depuis 2009, les effectifs de l’agence dans le monde ont progressé de près de 6% hors pigistes » [2]... cette croissance est « essentiellement portée par les contrats locaux et les prestataires externes. »

Nous ne revenons pas ici sur le détail des chiffres. A relever, cependant, ce commentaire de Sextant concernant le personnel administratif (c’est nous qui soulignons) :

« Il nous semble qu’en période de croissance comme c’est le cas au sein de l’agence sur cette période, le nombre de salariés administratifs devrait suivre cette progression, et non régresser. La croissance du nombre de journalistes s’accompagne, selon nous, d’une croissance du nombre des tâches administratives. Si les effectifs ne suivent pas la tendance, cela soulève, pour nous, un risque de surcharge de travail pour les salariés présents, voire un transfert de la charge sur les journalistes. »

D’accord à 100 % !

2 4 : Quelques éléments sur les finances

Dans ce qui suit, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité, mais cherchons simplement à relever certaines informations qui nous ont choqués ou interpellés.

4-i : Coût total du projet IRIS
en milliers d’euros

20092010201120122013Total
5.0606.72112.8419.0335.47439.129

Inutile de dire que les chiffres pour 2012 et 2013 sont des estimations.

Le détail qui tue : « Le budget IRIS total s’élève à 30 M€, financé par un prêt de l’Etat de 20 M€ remboursable, in fine, au bout de 20 ans. Il porte intérêts à un taux fixe de 5,28%, payables semestriellement. » (encore une fois, c’est nous qui soulignons).
Autrement dit : la fameuse contribution de l’Etat qui devait à l’origine être une simple dotation en capital, s’est non seulement transformée en prêt - mais à un taux d’intérêt nettement au-dessus du taux actuel du marché !

Par comparaison, le taux réel demandé par les banques privées pour l’opération de crédit-bail sur l’immeuble du siège de l’AFP en 2011 était de 2,42%, explique le Cabinet Sextant.

Concernant justement les deux prêts « crédit bail » - sur l’immeuble du siège et le « BTI » - Sextant écrit : « rappelons que ce mode de financement est, pour l’heure, moins coûteux que le prêt consenti par l’Etat, même si ce dernier offre une certaine souplesse... (ce qui a un coût) ».

Merci, l’Etat !

4-ii : Les frais du personnel comparés à l’inflation

Nous avons déjà noté que, selon le rapport, les effectifs totaux de l’AFP ont augmenté de plus de 5% entre fin 2008 et le début de 2012 - mais que cette augmentation a surtout concerné les salariés à statut local en général et les précaires en particulier.

En comparant ces chiffres aux données « salaires et charges sociales » sur la période 2009-2011, tout en tenant compte de l’inflation, on peut essayer de voir si la situation des salariés s’est améliorée ou a régressé dans son ensemble. Ne retenez pas votre souffle...

Frais du personnel, effectifs et inflation : 2009 - 2011

Les frais du personnel sont exprimés en millions d’euros

200920102011Variation
Salaires et charges sociales AFP168,6173,8178,0+5,6%
Effectifs en fin d’année (1)2.7022.7372.829+4,7%
Pour info : inflation pays OCDE (2)+0,5%+1,9%+2,9%+5,4%
Pour info : inflation en France (3)+0,1%+1,5%+2,1%+3,7%

(1) Effectifs hors pigistes
(2) Fourni ici à titre purement indicatif, il s’agit du taux moyen calculé par l’Organisation de coopération et de développement économique pour ses 34 pays membres, qui comprennent la majeure partie des pays riches de la planète (dont bien évidemment la France). Source : http://www.oecd-ilibrary.org/fr. La dernière colonne indique le taux cumulé sur la période.
(3) Inflation en France : source OCDE.

Autrement dit, même si les effectifs de l’AFP ont légèrement progressé pendant cette période, la rémunération moyenne par salarié n’a augmenté que de 0,9% en termes monétaires.

On voit bien que cette progression plus que modeste est tout à fait insuffisante pour nous compenser des pertes dues à l’inflation dans la quasi-totalité des pays où nous travaillons.

Merci, la direction !

4-iii : Frais en forte augmentation

Pendant ce temps, d’autres frais explosent...

Sextant : « Le poste ‘locations immobilières’ accuse une forte croissance qu’explique la multiplication par deux des frais du siège ».

 Locations immobilières et charges locatives siège

en milliers d’euros2008200920102011
Locations siège1.2441.8112.8662.971
Charges siège495828879899
Total1.7392.6393.7453.870
Variation (%)+51,75%+41,91%+3,34%

Merci, Vivienne !

Sans oublier le poste « publicité, publications, relations publiques », qui est passé de 348.000 euros en 2008 à 651.000 en 2011 - une coquette augmentation de 87%, sur trois ans (et une hausse de pas moins de 220% par rapport au chiffre de 2010).

Merci, la pub !

4-iv : Endettement

Pour l’heure, le cabinet Sextant ne considère pas l’endettement de l’AFP comme excessif.

Cela dit : « Les mouvements stratégiques et financiers en cours sur l’AFP viennent aujourd’hui ponctionner sa trésorerie pour à terme en bousculer l’économie générale... Les données partielles 2012 laissent à penser que 2012 comme 2013 seront des années difficiles au plan financier ».

V : Les conclusions (provisoires) de SUD

Au vu des chiffres cités ici, la direction aurait du mal à démontrer que les « difficultés » en question résultent d’un emballement des frais du personnel !

Par contre, certains frais liés à des erreurs stratégiques pèsent lourd : un déménagement sous un prétexte fumeux de « grand plateau multimédia », un recours de plus en plus marqué aux partenariats de type « com’ et publicité », sans oublier les aventures passées comme « Citizenside » et « Newzwag » et les aventures toujours en cours de « Relaxnews » [3] et d’« AFP Services ».

Il est clair que les errements des directions successives sont financés principalement par un gel généralisé des salaires, surtout comparé à l’inflation, par une compression du budget piges et par l’endettement bancaire. Ce n’est pas comme ça qu’on doit gérer l’AFP, M. Hoog !

Syndicat SUD-AFP, le mercredi 16 janvier 2013


[1En accord avec l’esprit du Statut de 1957, nous préférons parler d’« usagers » plutôt que de clients.

[2Autre limitation importante du rapport Sextant qu’il conviendra de corriger pour une prochaine édition : le document ne fournit pratiquement aucune donnée sur les pigistes.

[3« Citizenside » (http://www.citizenside.com) est toujours cité sur le site web de l’AFP (http://www.afp.com/fr/agence/filiales/) comme filiale, malgré la décision de la direction de se dégager d’une aventure qui aurait coûté fort cher. Sur l’épopée « Newzwag », cf. le site "sharp-words.com" créé par notre élu au CE. Quant au partenariat « AFP Relaxnews » (http://www.afprelaxnews.com/fr), il se poursuit malgré certaines zones d’ombre sur le plan déontologique...