Accueil > Communiqués SUD-AFP > « Défendre l’AFP, un enjeu de société » - Un tract SUD de 2003 (!)

« Défendre l’AFP, un enjeu de société » - Un tract SUD de 2003 (!)

mardi 26 février 2019

Clin d’œil historique : nous rediffusion un tract SUD-AFP de novembre 2003, toujours plus d’actualité. Voir la déclaration « Pour une réappropriation démocratique des médias »

(Tract diffusé à l’occasion du Forum social européen, 13 novembre 2003)
 
CNN, Associated Press, Reuters : ces noms sont intimement liés à la mondialisation de l’information. Ils reflètent une idéologie - la pensée néolibérale – et une seule logique - celle du marché. Face aux deux grandes agences de presse anglo-saxonnes, l’Agence France-Presse faisait jusqu’à présent figure d’exception. Issue de la Résistance, elle a grandi pendant la guerre froide en se démarquant de ses concurrents. Elle l’a encore fait lors de la guerre en Irak. Ni entreprise publique ni société purement capitaliste, elle a souvent permis de jeter un autre regard sur les grands événements d’actualité. Mais aujourd’hui, son rang d’unique agence de presse mondiale non anglo-saxonne est gravement menacé.
 
 Car l’AFP, principal « grossiste » en infos pour les médias français (texte, photo, infographie, multimédia), connaît actuellement une crise financière sans précédent. Résultat d’un manque de volonté politique des gouvernements successifs, de nombreuses erreurs de gestion de la direction et d’un large désintérêt de la plupart des médias français pour le maintien de son rang mondial, le déficit cumulé de l’AFP et sa dette ont atteint au moins 62 millions d’euros (pour un chiffre d’affaires annuel de 253 millions).
 
Alors que les personnels de l’Agence ont fourni d’importants efforts (productivité en hausse de 58% entre 1990 et 2002), le gouvernement Raffarin et la Direction veulent guérir le malade en lui administrant les recettes actuellement en vogue : gestion sous haute surveillance, désengagement progressif de l’Etat (principal client de l’AFP : 38% des recettes), développement des recettes commerciales internationales sur la base de prévisions aléatoires, cadeaux aux patrons de presse français (maintien des tarifs d’abonnement excessivement bas). Principal levier « palpable » de cette cure : la « maîtrise » de la masse salariale, qui doit se traduire par la suppression de postes et/ou une baisse des salaires réels. Le tout assaisonné d’une mesure hautement symbolique pour renflouer les caisses : la vente, par crédit-bail, du siège historique de l’Agence, place de la Bourse, pris par la Résistance en août 1944. Tout cela est codifié dans un « Contrat d’objectifs et de moyens 2003-2007 » (COM), fortement contesté par les syndicats, qui impose à l’entreprise un retour à l’équilibre financier dans les quatre années à venir. 

Les marchés avant tout

Au-delà des problèmes sociaux que cela implique, il faut que toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la liberté de l’information comprennent les dangers qui planent actuellement sur l’AFP en tant que voix différente dans le concert des médias mondiaux. En effet, le COM est fortement imprégné par le poison de l’idéologie néolibérale qui risque de faire perdre à l’AFP son principal atout : sa différence vis-à-vis de ses concurrents anglo-saxons.
 Ainsi, dans une logique « d’internationalisation et de privatisation des ressources », le COM prévoit une orientation prioritaire sur les « marchés qui peuvent et qui acceptent de payer un juste prix » pour les produits AFP, « c’est-à-dire les pays riches, démocratiques, peuplés de nombreux lecteurs ». Des projets de partenariat et de sous-traitance avec des entreprises de presse privées sont envisagés pour organiser le retrait de l’AFP en tant que telle de certaines activités moins juteuses ou de certains pays comme le Brésil.
 
Parallèlement, le COM prévoit une poursuite de la décentralisation déjà excessive de l’AFP et vante le caractère « multiculturel » de ses personnels. Or, derrière les belles paroles se cache l’idée de casser l’unité culturelle de la rédaction, d’adopter de plus en plus les méthodes de gestion et de travail anglo-saxonnes et de singer la concurrence et ses « produits », au lieu de jouer la différence.
 
Dans cette logique, le marché prend le dessus sur l’info. Au lieu de tout simplement fournir les informations en fonction de l’actualité, il faudra désormais « choisir des priorités de marché et les articuler avec les productions de contenus ».
 
Et sur la France, où les clients sont submergés d’informations, le COM prône une « maîtrise accrue du volume quantitatif » et « la pondération des sujets (généraux, sportifs, économiques) ». Autrement dit : alors que jusqu’à présent, la sélection des informations était effectuée en aval par les clients, qui choisissaient ce qui les intéressait dans le large éventail des informations fournies, une présélection sera désormais effectuée en amont, au sein de l’AFP, selon des critères subjectifs et, sans doute, en fonction des « priorités de marché ». On peut facilement imaginer ce que cela veut dire pour l’information sociale ou d’autres sujets peu prisés actuellement…
 

Grèves et débats

 
 On le voit, l’AFP en tant qu’agence de presse mondiale différente est gravement menacée par un processus d’assimilation à la concurrence anglo-saxonne. Nous alertons les professionnel(le)s des médias, les forces sociales et politiques, les citoyen(ne)s attaché(e)s à la liberté de l’information : opposons-nous à cette logique de marchandisation ! Et ne laissons pas faire ce gouvernement ! Il préfère réduire l’information à la « communication », que ce soit au niveau de l’audiovisuel public (chaîne internationale d’information conçue comme la « voix de la France ») ou au niveau de ce formidable outil qu’est l’AFP. Le destin des médias publics et de l’AFP doit faire l’objet d’un large débat !
 
Après deux grèves, le 17 septembre et le 10 octobre, l’intersyndicale CFDT-CGT-FO-SNJ-SUD de l’AFP a entamé une série de contacts avec des parlementaires de tous horizons. L’objectif est d’obtenir la réunion d’une table ronde entre représentants des médias, pouvoirs publics, direction et personnels de l’AFP pour tenter de trouver les conditions d’un financement pérenne de l’Agence, première condition pour maintenir et renforcer son indépendance. Mais, au-delà de ce projet, d’autres initiatives seront nécessaires pour faire en sorte que la défense de l’AFP devienne un véritable enjeu de société !
 
Solidaires-Unitaires-Démocratiques – 13 novembre 2003

ADDITIF 2019 : la suite est dans le « Plan Fries », analysé ici