Au moment où le Budget 2013 de l’AFP prévoit des mesures drastiques sur les frais de personnel, de formation et de fonctionnement, la découverte dans nos archives de ce Mémorandum de 1991 montre que les syndicats ont dû mener un combat constant pour répondre aux attaques contre l’indépendance de l’AFP. Voici le texte intégral, numérisé par SUD-AFP :
Mémorandum des personnels de l’AFP (1991)
Janvier 1991 : Le Conseil d’Administration de l’AFP décide cent suppressions d’emplois en quatre ans.
Mai 1991, le CA décide d’un train supplémentaire de suppressions d’emplois en nombre indéterminé.
Quatre ans après une crise née d’une volonté de démanteler l’Agence, et dont l’issue a été marquée, grâce à la mobilisation du personnel, par le maintien de son rôle mondial, les administrateurs continuent de vouloir imposer des mesures qui ne peuvent aboutir qu’à la mise en cause de l’Agence France Presse, comme agence mondiale d’information.
1. Le statut de 1957 reste d’actualité
Il y a bientôt 35 ans, le 3 juillet 1956, l’Assemblée Nationale discutait en première lecture du statut de l’Agence France Presse. Pour le secrétaire d’Etat chargé de l’information de l’époque, M. Gérard Jaquet, plusieurs principes de base devaient être reconnus pour permettre l’indépendance et la pérennité de l’Agence France Presse :
"Tout d’abord, il a été unanimement reconnu que la formule de coopérative d’information prévue par l’ordonnance du 30 septembre 1944 était irréalisable. En effet... les journaux ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer son financement, et les charges sont devenues beaucoup trop lourdes, notamment en raison des dévaluations et de leurs répercussions des dépenses de postes à l’étranger."
Une autre formule, poursuivait M. Jaquet, a été définitivement repoussée, celle de l’Agence Havas d’avant guerre, couplant l’information et la publicité, les ressources de l’une devant aider au financement de l’autre. On a craint, notait-il, "que les servitudes des grosses publicités ne mettent en danger l’indépendance de l’information".
Justifiant l’équilibre de la composition du conseil d’administration de l’Agence, M. Jaquet affirmait : "il est normal que l’Etat participe au financement de l’organisme chargé de rechercher et de diffuser l’information..., la participation de l’Etat se justifie en outre par la nécessité de préserver l’indépendance de l’Agence. Il faut en effet éviter que de puissants bailleurs de fonds ne viennent lui imposer certains mots d’ordre ou certaines lignes de conduite".
Le secrétaire d’Etat à l’Information précisait toutefois :
"Cela bien entendu, à condition que les gouvernements ne puissent pas en profiter pour asservir l’Agence et en faire l’instrument de leur politique".
Au fil des années se sont donc succédé depuis 1985, sous des vocables divers (redressement, restructuration, voire même par antiphrase, développement), des plans répondant au même scénario.
Evoquant un déficit structurel, d’ailleurs à géométrie variable, mais sans commune mesure avec, par exemple, celui de l’audiovisuel public, les administrateurs ont exigé des réductions de personnels et de la masse salariale. Ils ont invoqué notamment en ce qui concerne la rédaction une notion de productivité sur laquelle, vu la nature de notre produit, on peut s’interroger. Ils ont constamment subordonné l’octroi de moyens au demeurant insuffisants à des réductions de personnels, licenciements directs ou suppressions d’emplois.
L’expérience des organisations représentatives des personnels, qui ont toujours su faire preuve d’un très grand sens des responsabilités, leur démontre qu’il s’agit d’un cercle infernal : plus on a licencié, et plus le déficit s’est creusé. Plus le déficit s’est creusé, et plus on a licencié.
Rétablir quelques vérités
Contrairement à ce qu’affirment les administrateurs, la situation de l’Agence n’implique ni suppressions d’emplois, ni mesures d’encadrement des salaires. A l’inverse, elle plaide pour un renforcement des moyens de l’AFP.
Chaînon intermédiaire dans la production des médias, l’Agence France Presse ne crée de valeur ajoutée que par l’activité de ses personnels. Elle est une entreprise de main d’oeuvre, et le ratio entre les investissements et les frais de personnels ne peut que voir la part des salaires progresser au fur et à mesure que la banalisation des équipements de télécommunication et d’informatique voit leurs coûts baisser.
Cependant, l’obsolescence actuelle du système rédactionnel informatisé (qui reste fondé sur des matériels et des systèmes datant des années 70), implique des efforts d’investissements. Au demeurant, les patrons de presse, qui bénéficient des retombées des améliorations de la présentation des produits, n’ont jamais accepté de participer aux investissements de l’AFP.
2. Les tarifs
Depuis près de vingt ans, les tarifs de l’Agence, sur lesquels sont calculées à la fois la contribution des pouvoirs et celle des abonnés français, ont vu leur part dans le prix de vente des journaux baisser continuellement. Et cela alors que l’Agence fournit à ses clients presse des services plus diversifiés, plus adaptés, susceptibles d’une entrée directe sur les écrans, en composition, etc...
Qu’on ne vienne pas prétexter de l’augmentation de 5% par an au-dessus de l’inflation prévue pour les quatre années à venir pour les seuls tarifs presse : on reste loin du compte. C’est ainsi que l’agence nationale allemande DPA touche l’équivalent de un franc par exemplaire du plus grand quotidien régional (1,2 million d’exemplaires par jour vendus 3,40F) tandis que la Dépêche du Midi (3,80 F l’exemplaire) verse royalement trois centimes à l’AFP pour le service général - cinq centimes avec les services spéciaux. Les tarifs de l’AFP représentent donc bien une subvention indirecte aux journaux déjà pourtant bien aidés directement et indirectement par l’Etat.
3. Les effectifs :
Les effectifs des ouvriers des transmissions ont baissé de 35% depuis 1978. Il y avait 361 employés en novembre 1983, leur effectif n’était plus que de 225 en novembre 1990 (moins 37,5%). Quant à la rédaction, elle avait fondu de 761 en novembre 1983, à 694 en novembre 1990, perdant 65 titulaires, soit l’équivalent d’une rédaction moyenne de la clientèle presse de l’Agence.
Ces diminutions d’effectifs se sont traduites par un recul de la présence de l’Agence France Presse sur le sol national, ainsi qu’à l’étranger. Plus de dix bureaux notamment ont été fermés en Afrique.
Lors des grands événements mondiaux l’Agence France Presse se retrouve systématiquement en sous-effectifs par rapport à la concurrence. C’est ainsi notamment qu’à Séoul (J-0) Associated Press disposait d’un staff de 68 journalistes, 24 photographes et 84 techniciens (soit un total de 176), tandis que l’Agence France Presse ne pouvait déployer que 48 journalistes, 33 photographes et 15 techniciens (96 au total).
Lors de la guerre du Golfe, un rapport de un à six était constaté entre Reuter et l’AFP au quartier général de Dharan.
Ce sous-effectif permanent oblige le personnel à travailler à flux tendu, ce qui est loin de correspondre aux nécessités propres à un traitement moderne de l’information.
4. Les salaires :
Dans ce domaine également, les administrateurs en demandent toujours plus. Il est bon à ce sujet de rappeler la réalité : depuis plusieurs dizaines d’années, les collaborateurs de l’Agence ne "bénéficient" que des augmentations sèches négociées annuellement sur les minima de la grille de la presse parisienne.
Les journalistes ont perdu en 1985 une prime dont le montant aurait atteint en novembre 1990 1.371 francs.
Les employés de rédaction ont vu cinq clauses de leur convention collective dénoncées unilatéralement par la direction en janvier 1986.
La rémunération moyenne annuelle des journalistes de l’AFP (en intégrant la majorité des salaires de la haute hiérarchie) s’est élevée en 1988 à 241.402 francs, alors qu’elle était au Figaro de 338.557 francs.
Le personnel de l’Agence a mandaté ses organisations syndicales pour un refus clair et définitif des suppressions d’effectifs.
Il faut maintenir l’AFP dans son rôle mondial ; et pour cela, il faut abroger les plans qui conduisent à son démantèlement. Il faut que les pouvoirs publics, les administrateurs de la presse respectent les devoir que leur impose le statut de l’AFP lui assurant les moyens d’accomplir sa mission, en permettant la modernisation de ses moyens techniques.
Il faut que le conseil d’administration annule les dispositions des plans prévoyant des suppressions d’effectifs et que soient embauchés les personnels titulaires nécessaires, que soient enfin alignés les salaires des personnels de l’AFP avec ceux des organes de presse et médias d’importance équivalente.
Tous syndicats de l’AFP toutes catégories 28 mai 1991
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