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Le temps de travail à l’AFP, parlons-en !

jeudi 12 décembre 2013

Temps de travail : texte SUD-AFP

Nouvelle réunion avec la direction dans le cadre de son projet de négociations sur un "Nouveau contrat social" : SUD a présenté son propre point de vue sur le premier sujet à l’ordre du jour, le temps de travail. Voici notre document :

A - Le contexte

SUD ne partage pas les arguments de la direction qui affirme qu’en raison de la crise et des mutations sur le marché de l’information l’AFP serait contrainte de dégager de nouvelles marges, en maîtrisant de façon drastique l’évolution de la masse salariale, afin d’autofinancer ses investissements.

Ce raisonnement est fondé sur deux piliers, qui relèvent non pas de contraintes naturelles et objectives, mais de choix politiques néfastes pour l’Agence et ses personnels, tout comme ils sont néfastes plus globalement pour l’humanité :

1/ Les politiques d’austérité et de restrictions budgétaires de l’Etat : elles réduisent l’emploi et les services publics, les prestations sociales, les salaires, donc elles réduisent la consommation et freinent l’activité économique, avec comme conséquence pour les médias traditionnels une remise en cause de leur modèle économique via une réduction de leurs recettes publicitaires.

Parallèlement, la baisse des revenus des ménages oblige ceux-ci à faire des choix : qui peut encore se permettre d’acheter régulièrement des journaux ou de s’y abonner, alors qu’une information basique est fournie gratuitement par les journaux publicitaires ("gratuits") et par les portails internet, et que les journaux sont de plus en plus chers et pas forcément de bonne qualité ?

De plus, l’actuelle tendance visant à réduire le temps libre (recul de l’âge de départ à la retraite, retour en arrière sur les 35 heures etc.) entraîne une réduction du temps consacré à la lecture et à l’assimilation d’une information exhaustive et approfondie.
Par conséquent, les politiques d’austérité réduisent l’accès à l’information, le pluralisme de l’information, la liberté des citoyens.

2/ L’application des lois du marché sur la sphère de l’information permet aux grands groupes financiers de remodeler à leur guise le paysage médiatique, en rachetant des entreprises médiatiques, en fusionnant des rédactions, en imposant les contenus dictés par leurs intérêts commerciaux.

L’intervention de l’Etat, autrefois destinée à garantir au plus grand nombre de citoyens l’accès à une information pluraliste et exhaustive, est fortement limitée par les lois de la "concurrence libre et non faussée".

Résultat pour l’AFP : alors qu’autrefois l’Etat l’aidait à assurer le financement de ses investissements, elle doit désormais les financer sur le dos de ses personnels.

B - Travailler plus pour gagner moins

La recette de la direction pour compenser les conséquences néfastes des choix politiques est peu originale : il s’agit de travailler plus, pour gagner moins, dans le cadre d’une orientation qui tente désespérément d’arrêter une tendance lourde de l’histoire de l’humanité : celle de la réduction du temps de travail, et donc de l’augmentation du temps libre, permettant aux êtres humains de s’émanciper et de s’auto-organiser.

En effet, si la semaine de 40h divisait la journée en trois tranches de huit heures (travail, loisirs, sommeil), celle de 35h donne pour la première fois aux salariés plus de temps libre que de temps consacré au travail, et donc la possibilité de se libérer de l’emprise de l’employeur sur leur vie personnelle et citoyenne.

De même, la retraite à 60 ans permet à des seniors encore en bonne santé de profiter de la vie, de s’occuper de leurs petits-enfants, de s’engager comme citoyens. A condition que le niveau de leur pension le leur permette, ce qui est malheureusement de moins en moins le cas. En tous cas, reculer l’âge de la retraite, est une régression sociale.

C - Temps de travail à l’AFP : les enjeux

Selon la direction, le temps de travail constitue "un enjeu tant organisationnel que financier (...) qui impacte nos capacités de couverture et de missions".

Elle s’étonne de l’important volume de jours de CP, de RTT ou de récupération non pris et envisage notamment de "réduire le nombre de jours de congés, de RTT".

C’est un peu court.

Pour SUD, il faut placer l’intérêt des salariés et la mission d’intérêt général de l’Agence au centre du débat sur le temps de travail, et non pas les intérêts financiers non justifiés, car dictés par des choix politiques en rupture avec les principes de progrès social et de la démocratie qui fondent historiquement le modèle social français et européen, auquel nous devons aussi la naissance de l’AFP et son Statut de 1957.

De ce point de vue, nous nous opposerons fermement à toute nouvelle rallonge du temps de travail et aborderons ce dossier avec un parti pris intransigeant pour la défense des intérêts des salariés.

D - Un constat : nous avons déjà donné

Qu’il s’agisse du temps de travail sur toute la vie ou du temps de travail hebdomadaire, force est de constater que ces dernières années ont déjà apporté de nouveaux reculs sociaux pour les salariés de ce pays, y compris ceux de l’AFP :

1/ Les multiples contre-réformes des retraites depuis celle de 1993 (Balladur), en passant par celles de Fillon, à la dernière en date (Ayrault), se traduisent par un important rallongement de la vie au travail. Nous devons travailler nettement plus longtemps que nos parents ou grands-parents, ou que ce qui était prévu au moment de notre embauche. Tous ceux qui ont commencé leur carrière avant 1993 avaient la promesse de pouvoir prendre leur retraite à taux plein après 37,5 annuités de cotisations. Aujourd’hui, c’est 41 annuités et cela passe à 43 pour tous ceux qui sont actuellement âgées de moins de 40 ans. En moyenne environ cinq ans de plus ! 37,5 + 5 = une augmentation de 13% du temps de travail sur toute la vie. [1]

Aujourd’hui, au lieu de pouvoir bénéficier de leur retraite, quelque 180 salariés âgés de 60 ans et plus travaillent à l’AFP, dont plus de 140 journalistes, tandis que les jeunes attendent de pouvoir être titularisés. [2]

2/ A l’AFP, les lois sur les 35h ont eu des conséquences très bénéfiques sur les "capacités de couverture et de missions", ainsi que sur les conditions de travail. Outre les accords sur les RTT en 2000, ces lois se sont traduites par 79 créations de postes, concernant 50 journalistes (J), 9 ouvriers (OT), 6 cadres techniques (CT), 8 employé-e-s (EP), 6 cadres administratifs (CA).

Depuis, l’Agence a lancé de nombreuses activités nouvelles, et notamment le service Vidéo. Ce dernier comptait dans le budget 2013 un total de 66 postes J (dont combien de postes statut siège ?) et 4 postes EP. Tous ces postes ont été gagnés par redéploiements, donc par intensification du travail dans les autres secteurs d’activité de l’Agence !

Et c’est sans compter d’autres redéploiements - comme la création d’un pôle "réseaux sociaux" rattaché à la Rédaction en chef centrale.

Selon les chiffres du Bilan social, présenté chaque année au Comité d’entreprise, le nombre de journalistes statut siège n’a pratiquement pas bougé entre 2002 et 2012 (875 en 2002, 879 en 2012), malgré le lancement de ces nouveaux services.

Si le nombre d’emplois administratifs a augmenté de 8 postes en dix ans, il a reculé dans les professions techniques (malgré Iris !) de 29 postes.

Les conséquences très bénéfiques de la loi sur les 35 heures ont été totalement effacées, avec le lancement d’une activité complètement nouvelle (la Vidéo) rendu possible uniquement par redéploiements. Pire, l’AFP fonctionne aujourd’hui avec 17 salariés statut siège de moins qu’en 2002.

Cette tendance à produire toujours plus avec toujours moins de postes a un effet mécanique sur l’intensité du travail à l’AFP. En particulier, de nombreux journalistes dans les services de production et les bureaux font régulièrement des journées de 10 ou 12 heures, sans pouvoir être relevés ou remplacés.

3/ Il est, selon nous, nécessaire de faire un inventaire complet des réductions de postes, activité par activité, zone géographique par zone géographique. Car il est évident que les redéploiements et les suppressions de postes ont entraîné précarité, stress et surcharge de travail pour les salariés, avec une diminution des capacités de couverture et de missions.

  • Les reliquats de congés sont le résultat de ces changements : souvent les salariés ne peuvent pas prendre leurs congés, pour raisons de service.
  • De nombreux journalistes en production, détachés, expatriés etc. sont obligés d’assurer des astreintes non payées, n’ont pas de tableau de service précisant le nombre d’heures etc. On ne peut pas parler du temps de travail sans évoquer ce travail non rémunéré. D’autant que le curseur est en permanence déplacé en défaveur des salariés.
  • Quid par exemple de l’échange de messages électroniques professionnels en dehors des heures de travail ? (Des syndicats allemands ont signé des accords limitant l’utilisation des courriels ou de sms en dehors des heures de travail, pour préserver la vie privée des salariés).
  • Le travail non rémunéré concerne aussi de nombreux pigistes, notamment ceux qui ont repris le travail des rédacteurs détachés, dans des conditions que nous continuons à considérer comme contraires à la loi.
  • On notera également le nombre important de suppressions de postes dans le Technique, qui explique sans doute le mal-être dans certains services, tel qu’il a été confirmé récemment par la psychologue du travail qui a enquêté dans le service SEBP, à la suite d’une alerte lancée par le délégué du personnel SUD.
  • Enfin, si la forte diminution du nombre d’EP s’explique partiellement par leur passage au statut de cadre, il s’avère que la suppression de postes d’employés augmente le stress des EP restants et souvent aussi des entités rédactionnelles touchées par ces mesures d’économies (travail administratif désormais assuré par des journalistes).

E/ Des conditions de travail détériorées

Alors que les salariés de l’AFP ont déjà largement donné au niveau de l’augmentation du temps et de la charge de travail, les mesures envisagées par la direction ne peuvent qu’entraîner une nouvelle dégradation des conditions de travail et d’exercice de nos métiers. Enjeux : la santé des salariés et la santé de l’Agence, qui a besoin de main d’œuvre pour assurer sa mission d’intérêt général.

Or, l’employeur est obligé par la loi d’améliorer les conditions de travail. Déjà, l’Agence ne remplit pas ses obligations légales, dans la mesure où elle n’a toujours pas présenté le Document unique qui est censé lister l’ensemble des risques potentiels pour la santé physique et morale des salariés. De même, le Plan d’action pour prévenir ces risques n’est toujours pas au point.

Dans ces conditions, SUD estime que l’augmentation du temps de travail et la diminution des congés - même si elles étaient retenues comme solutions pour générer de nouvelles marges permettant de financer les investissements - ne pourraient pas être mis en œuvre tant que nous ne disposions pas d’une analyse exhaustive des conditions de travail engendrées par la gestion actuelle du temps de travail, et des conséquences prévisibles des mesures envisagées sur la santé des salariés.

La présentation du Document unique et du plan de Prévention des risques, ainsi qu’une expertise exhaustive réalisée pour le CHSCT par un cabinet spécialisé, sont selon SUD indispensables.

Nous sommes convaincus que ces études montreront qu’il y a urgence à améliorer les conditions de travail à l’AFP afin qu’elle puisse remplir sereinement sa mission d’intérêt général. Une telle amélioration ne passe certainement pas par un rallongement du temps de travail ou une diminution des congés ou du nombre de RTT.

Paris, le 11 décembre 2013
SUD-AFP (Solidaires – Unitaires – Démocratiques)


[1La plupart des journalistes commençant à travailler tard, ceux de l’AFP vont en général devoir aller jusqu’à l’âge légal de 67 ans pour bénéficier automatiquement de ce qu’on appelle la retraite à taux plein.

[2SUD ne fait pas ce constat pour stigmatiser ces seniors ; ils doivent avoir leurs raisons, notamment le fait que le départ en retraite représente un réel sacrifice financier.