La Proposition de loi 2224 "portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse” modifierait comme suit l’article premier du Statut de l’AFP (Loi °57-32 du 10 janvier 1957). Le paragraphe indiqué en gras serait ajouté :
Article 1
« Il est créé, sous le nom d’Agence France-Presse, un organisme autonome doté de la personnalité civile et dont le fonctionnement est assuré suivant les règles commerciales.
« Cet organisme a pour objet :
1. « De rechercher, tant en France et dans l’ensemble de l’Union française qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective ;
2. « De mettre contre payement cette information à la disposition des usagers. »
« Les activités de l’Agence France-Presse ne relevant pas des missions générales définies aux deux alinéas précédents et à l’article 2 font l’objet d’une comptabilité séparée. »
Article 2 [inchangé]
« L’activité de l’Agence France-Presse est soumise aux obligations fondamentales suivantes :
1. « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ;
2. « L’Agence France-Presse doit, dans toute la mesure de ses ressources, développer son action et parfaire son organisation en vue de donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance ;
3. « L’Agence France-Presse doit, dans toute la mesure de ses ressources, assurer l’existence d’un réseau d’établissements lui conférant le caractère d’un organisme d’information à rayonnement mondial. »
L’ADN de l’AFP
On constate tout de suite une chose étrange : alors que dans sa version originale le Statut limitait l’AFP à la production et à la vente d’une "information complète et objective" dans le monde entier, en précisant dans son article 2 les critères d’exactitude, d’objectivité et d’indépendance qui devaient régir cette production, dans sa nouvelle version le texte évoque, dès son article 1, de mystérieuses "activités" qui échapperaient à ces conditions.
Le paragraphe ajouté précise clairement que la définition des "missions générales" est contenue toute entière dans ces deux premiers articles du Statut, ce qui est à première vue rassurant. Mais en est-il vraiment ainsi ?
La première question que l’on peut légitimement poser est la suivante : Quelles sont précisément ces activités de l’AFP - actuelles ou à venir - qui remplissent une ou plusieurs des conditions suivantes ?
1. ne pas "rechercher, tant en France qu’à l’étranger des éléments d’une information complète et objective"
2. ne pas exiger de paiement en échange des produits fournis
3. tenir compte "d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information”
4. faire en sorte que l’AFP "passe sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique”
5. empêcher l’AFP de "développer son action et parfaire son organisation en vue de donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance”
6. empêcher que l’AFP "dans toute la mesure de ses ressources, assure l’existence d’un réseau d’établissements lui conférant le caractère d’un organisme d’information à rayonnement mondial" ?
Et la deuxième question qui se pose : Pourquoi l’AFP serait-elle autorisée à se livrer à des activités qui ne sont pas définies dans les deux premiers articles de son Statut, sachant que ces activités pourraient compromettre la poursuite des Missions d’intérêt général, soit en générant des déficits, soit en corrompant la qualité de l’information produite par l’AFP dans le cadre de ces missions ?
Cartes sur table !
Il existait jusqu’à présent un consensus à l’Agence : direction, syndicats et associations ont toujours considéré que les deux premiers articles de la loi de 1957 constituaient l’ADN de l’AFP. La proposition de loi Françaix s’attaque à ce tabou.
A la lumière de ce constat, on ne peut être qu’étonné du manque de curiosité de certains à propos de cette mise en conformité avec les lois communautaires de la concurrence. Que signifie l’application de ces lois pour l’indépendance rédactionnelle de l’AFP, ses perspectives de développement, ses mécanismes de financement et, de par là, les conditions sociales de ses salariés ?
Le PDG Emmanuel Hoog n’a toujours pas répondu aux questions posées par SUD :
• Si nos Missions d’intérêt général sont définies dans les articles 1 et 2 du Statut, comment justifier le fait que la Commission européenne ne reconnaisse ces missions que pour une durée de 10 ans et en posant des conditions très strictes et limitatives ? La Loi de 1957 deviendra-t-elle une LDD - Loi à durée déterminée ?
• Pourquoi est-ce que la Commission européenne considère que les activités de l’AFP en langue allemande ne relèvent pas de sa Mission d’intérêt général ?
• Pourquoi pousse-t-elle les autorités françaises à "prendre un acte normatif qui matérialiserait l’obligation par l’AFP de filialiser et développer les activités autres que celles définies aux articles 1er et 2ème de la loi du 10 janvier 1957 dans le cadre de sociétés juridiquement distinctes", à l’instar de la filiale allemande AFP GmbH ? Est-ce le début d’un saucissonnage de l’AFP ?
• Quel est le but des 15,7 M€ d’investissements prévus sous le thème "connaissance et service client", sinon de booster ces "activités hors Mission d’intérêt général" qui devront, selon la proposition de loi Françaix, "faire l’objet d’une comptabilité séparée", donc être filialisées comme le demande la Commission européenne ?
• Si l’Etat compense en 2015 le surcoût de la Mission intérêt général de l’AFP à 100%, qu’en sera-t-il dans les années avenir ? La mise en place de la filiale de financement ne servira-t-elle pas à terme d’argument à un nouveau désengagement de l’Etat ? (La lettre de mission du Premier ministre à M. Françaix ne soulignait pas seulement la nécessité de "respecter le droit européen de la concurrence" mais également "l’objectif de redressement des comptes publics").
Pour pouvoir réellement mesurer les conséquences des projets en cours, il faut que le gouvernement et la direction mettent cartes sur table !
Le gouvernement doit publier les échanges avec la Commission européenne sur le financement de l’AFP et sur l’obsolescence programmée de notre Mission d’intérêt général !
Le PDG doit publier le projet du Contrat d’objectifs et de moyens 2014-2018 (COM) et enfin répondre à nos questions sur l’évolution de la masse salariale, qui sont étroitement liées aux nouveaux mécanismes de financement de l’AFP prévus par la proposition de loi Françaix et le COM !
Paris, le 29 septembre 2014
SUD-AFP (SUD Culture & Médias Solidaires)