D’importants projets touchant au fonctionnement de l’Agence France-Presse et aux conditions professionnelles et sociales de ses personnels sont actuellement mis en œuvre. Personne ne peut rester indifférent face à ces changements, car nous sommes tous concernés. La page des élections professionnelles étant tournée, SUD reste fidèle à ses engagements : vous informer, pour vous permettre de vous faire votre propre opinion. Et vous encourager à agir, tous ensemble, pour des choix alternatifs.
L’argent, le nerf de la guerre
Les promoteurs des projets en cours les justifient parfois par la "révolution technologique", la prétendue obsolescence des textes qui nous régissent ou les problèmes de gouvernance de l’AFP…
Ces sujets méritent réflexion et peuvent conduire à des évolutions. Mais à y regarder de plus près, c’est bien le financement de l’AFP qui est au centre de tout. Avec, évidemment, des conséquences importantes pour les conditions d’exercice de nos métiers : investissements, moyens de fonctionnement, emploi, précarité, salaires, carrières…
Inventaire des projets en cours
Le Contrat d’objectifs et de moyens 2014-2018 (COM-3), négocié avec le gouvernement français, rompt avec la logique des deux précédents COM, qui garantissaient à l’AFP une progression modérée mais constante des versements de l’Etat. Ainsi, dans le cadre du COM-2, ces versements pour assurer le fonctionnement courant de l’agence augmentaient de +1,8% par an sur la période 2009-2013.
Dès l’année prochaine, l’évolution des paiements de l’Etat sera freinée. Selon les chiffres du projet de loi de finances 2015 actuellement discuté au Parlement, ils n’augmenteront plus que de +1,6% en 2015, +0,6% en 2016 et +0,3% en 2017 . Conséquence : l’AFP devra se débrouiller elle-même pour compenser cette perte de revenus.
Le Plan de développement 2014-2018 (Lien intranet), présenté par Emmanuel Hoog, doit selon le PDG permettre à l’AFP de "se développer dans un contexte de crise". Sans explicitement anticiper le relatif désengagement de l’Etat, ce plan tente néanmoins d’y répondre : "Pour les années 2014 à 2018, l’ambition est d’atteindre une croissance du chiffre d’affaires commercial de +2 à +2,5% en moyenne annuelle."
Le projet de création d’une filiale technique, proposé par le député Michel Françaix, répond à l’autre volet du désengagement de l’Etat : celui qui concerne les investissements de l’AFP, autrefois financés grâce à des subventions et des aides directes des pouvoirs publics.
Si les craintes d’une externalisation des services techniques de l’agence et de leurs personnels sont effectivement justifiées, l’objectif premier est de mettre en place le nouveau modèle économique pour l’AFP, et la filiale en fait partie : elle doit permettre de créer un mécanisme de financement pour les investissements de l’agence qui soit à la fois compatible avec le droit européen et avec l’objectif de redressement des comptes publics.
La proposition de loi Françaix prévoit de modifier le Statut de 1957, pour pouvoir tourner la page du contentieux avec Bruxelles sur les versements de l’Etat à l’AFP, et échapper à des sanctions.
La principale disposition proposée inscrit dans la loi l’idée que l’AFP puisse avoir des activités …qui ne relèvent pas de ses missions d’intérêt général .
Le projet de Nouveau contrat social prôné par le PDG, répond à un besoin réel, lorsqu’il souligne qu’il s’agit de "permettre d’envisager l’avenir sur des bases sociales et juridiques claires, cohérentes, équitables". Dans ce sens, il reprend de façon détournée une demande formulée par SUD depuis de nombreuses années. Cependant, ce volet social est en contradiction avec l’objectif essentiel du projet : son volet économique .
Ces projets se complètent et convergent vers un même objectif : augmenter le chiffre d’affaires et limiter les coûts salariaux, pour tenter de compenser le désengagement progressif de l’Etat.
Un modèle ni viable ni souhaitable
"Chance historique", unique voie possible pour "sortir de l’immobilisme" et assurer l’avenir de l’agence, comme le disent certains ? Même s’il existe toujours des interrogations, nous avons d’ores et déjà de sérieux doutes sur la viabilité de ce nouveau modèle économique pour l’AFP. En effet :
• Le PDG n’a toujours pas répondu à la question centrale : comment l’agence va-t-elle pouvoir augmenter chaque année son chiffre d’affaires de 2% ou plus, donc nettement plus vite que le PIB de la France et des principaux pays riches, selon les prévisions concordantes ? Qu’est-ce qui permet de croire qu’il s’agisse d’un objectif réaliste, alors que le chiffre d’affaires de l’AFP a reculé de 2,3% en 2013 ?
• Ces recettes commerciales attendues risquant de ne pas être au rendez-vous, la direction devra décider de nouvelles restrictions budgétaires visant les frais de fonctionnement et la masse salariale. D’où, pour la direction, l’urgence d’ouvrir la grande négociation sociale, avec l’objectif de réaliser de nouvelles économies sur le dos du personnel.
• On est encore dans le flou sur les contours précis de la filiale de financement (filiale technique), qui risque de devenir une filiale d’endettement.
A nos fortes réserves sur la viabilité de ces projets s’ajoute le fait qu’ils impliquent des solutions non souhaitables, car contraires aux principes fondateurs de l’agence et aux intérêts sociaux et démocratiques des salariés. Avec des menaces sur trois piliers essentiels de l’agence : sa mission d’intérêt général, son unité structurelle, l’unité des personnels.
Défendons notre mission d’intérêt général !
L’AFP est une mission d’intérêt général, rien qu’une mission d’intérêt général : c’est le sens des deux premiers articles de son Statut de 1957. Rappelons que la loi oblige l’AFP à "donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance" .
Au cours des dernières décennies, la direction s’est à plusieurs reprises écartée de ce principe, en lançant des activités ne relevant pas de ces obligations statutaires : partenariat avec Relaxnews ou Paris Modes, quizz Newzwag…. Certains nouveaux "produits" se sont soldés par des coûteux échecs commerciaux ; ceux qui ne relèvent pas de la mission d’intérêt général risquent de nuire à l’indépendance ou à la réputation de l’agence.
Malgré l’absence d’un bilan de ces activités, la proposition de loi Françaix légalise leur existence et permet de les développer. Mais pourquoi donc vider ainsi de leur substance les deux premiers articles du Statut ?
Tout d’abord, parce que si booster le chiffre d’affaires de 2% par an est déjà plus qu’ambitieux, il serait encore plus irréaliste de penser que cette hausse puisse actuellement être réalisée en vendant de l’information répondant à nos standards traditionnels. D’où la volonté de "diversifier" l’offre de l’agence en proposant des produits réalisés à la demande d’intérêts particuliers (sociétés anonymes comme Orange ou RTL, groupements idéologiques, politiques ou économiques comme la Commission européenne, principal client de la filiale AFP-Services…).
L’autre motif de ce renoncement radical se trouve dans les lois de la concurrence, que Paris et Bruxelles croient devoir imposer à tous les secteurs de la société, y compris la culture et l’information. Selon ces lois, le marché libre est la règle, et tout ce qui entrave ce marché est l’exception.
Concrètement, la Commission de Bruxelles autorise l’Etat français à financer une partie des frais courants de l’AFP, au titre de compensation du coût net de ses missions d’intérêt général. Mais ces missions générales sont reconnues pour une période limitée (dix ans) et un périmètre restreint ; l’AFP est poussée à développer ses activités ne relevant pas de ses missions d’intérêt général et à les filialiser.
Dans les faits, il est interdit à l’AFP de bâtir une véritable stratégie de développement international fondée sur sa mission d’intérêt général, car elle n’a pas le droit d’utiliser les aides de l’Etat français pour entrer en concurrence avec une agence nationale à l’étranger.
Ce qui était possible dans les années 1980, lors du lancement du service allemand en Allemagne ou de la Photo internationale, lui est aujourd’hui refusé en vertu de "l’interdiction de subventions croisées".
Ces remises en cause des principes fondateurs de l’agence sont le fait de décisions politiques, néfastes pour l’AFP ; il est possible et nécessaire de s’y opposer.
Défendons l’unité de l’agence !
Seule agence de presse mondiale francophone, l’AFP tire sa force de son "Statut de la liberté" qui précise qu’"elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique". C’est ce qui la différencie de façon décisive de ses principaux concurrents. Mais en créant des filiales qui ne bénéficient pas de cette même protection face aux influences notamment financières, l’AFP met en danger son principal atout : son indépendance.
Si le dogme économique aujourd’hui imposé à l’AFP consiste à l’amputer de son service allemand (en le sortant du champ de sa mission d’intérêt général), d’autres services suivront et l’agence finira par être découpée en rondelles.
• Filialiser des activités qui relèvent de la mission de l’agence telle que définie aux deux premiers articles de son Statut, c’est affaiblir son indépendance rédactionnelle, technologique, administrative.
• Lancer des activités ne relevant pas de la mission d’intérêt général de l’agence, même si elles sont confiées à une filiale, c’est également l’affaiblir, car c’est nuire à son image de marque et à sa crédibilité.
Qui peut accepter une telle perspective ?
Défendons l’unité des personnels !
Le fort taux de participation à la récente élection des deux représentants du personnel au Conseil d’administration a montré que tous les salariés veulent avoir leur mot à dire quant au développement de l’agence. Les salariés des filiales allemandes étaient les principaux exclus de cet unique scrutin véritablement mondial à l’AFP. A qui le tour la prochaine fois ?
Déjà, la direction joue trop souvent sur la différence de statut entre salariés sous contrat français et salariés locaux. Des postes d’expatriés sont transformés en postes locaux ; des précaires se voient proposer des contrats locaux ou dans des filiales : plus d’un an après avoir été embauchés par AFP Services, des journalistes en CDD n’ont toujours pas la carte de presse...
Filialiser, c’est priver des salariés de leurs droits sociaux, démocratiques et professionnels dont ils bénéficieraient s’ils avaient le "statut du siège". Et c’est mettre en concurrence les titulaires de l’AFP avec des salariés moins bien protégés.
C’est pourquoi le personnel a intérêt à s’opposer aux filialisations.
Défendre l’AFP, c’est une question de volonté
Chacun sait que l’AFP est née de la volonté politique du législateur français. Si elle a pu se développer et survivre en tant qu’agence de presse mondiale, c’est évidemment le fruit des efforts de ses personnels. Mais ces efforts à eux seuls ne sont pas suffisants pour assurer à l’agence son rang mondial : 40% des revenus annuels de l’AFP sont payés par le contribuable français.
Personne n’accuse aujourd’hui le gouvernement d’avoir l’intention de tuer l’AFP : le désengagement de l’Etat est pour l’instant graduel. Mais les projets mis en œuvre ne vont pas dans le bon sens. Ils s’attaquent au capital le plus précieux de l’agence - ses personnels - en leur demandant toujours et toujours plus d’efforts. Et ils diminuent la capacité de l’agence à remplir sa mission d’intérêt général.
Les projets actuels relèvent d’un manque de volonté, de la part de la direction de l’AFP et des responsables politiques, de défendre cette mission de l’agence, dans un contexte de remise en cause générale d’acquis démocratiques et sociaux, dont beaucoup remontent au programme du Conseil national de la Résistance.
Quant aux personnels, ils ont toujours su se mobiliser pour défendre les principes fondateurs de l’AFP. Même quand la résistance semblait désespérée, comme en 2011 face à la proposition de loi Hoog-Legendre, nous avons fini par gagner.
Aujourd’hui comme hier, d’autres choix sont possibles. A condition d’avoir la volonté de se battre.
➢ SUD compte sur l’ensemble du personnel, pour demander aux organisations syndicales et aux nouveaux élus au Conseil d’administration et au Comité d’entreprise de prendre leurs responsabilités, en résistant aux projets en cours.
➢ L’heure n’est pas au soutien - même critique - des mesures envisagées, ni au lobbying afin d’arracher quelques petites concessions, mais bel et bien à la construction d’un mouvement d’opposition.
➢ SUD-AFP, affilié à l’Union syndicale Solidaires, participera aux nécessaires mobilisations pour défendre l’AFP et les intérêts des salariés, contre les projets de filialisation, le Contrat d’objectifs et de moyens 2014-2018, la proposition de loi Françaix, le projet de loi de finances 2015, les politiques austérité…
Paris, le 17 novembre 2014
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)