La direction de l’AFP espère boucler la négociation du Grand accord, comme prévu, en février 2017. Au cours des dernières semaines, elle a fourni de nombreuses précisions sur son projet. Désormais on voit assez précisément dans quelles conditions sociales nous devrons travailler dans un avenir très proche, si le personnel et ses représentants se résignent à accepter un projet qui modifiera profondément les conditions de vie et de travail.
Moins de temps libre, moins de vie privée
Leitmotiv du Grand accord, censé remplacer l’ensemble des 117 accords dénoncés : « travaillez plus ! ». Si la baisse du nombre de jours de repos (congés payés, RTT) est l’objectif le plus visible du projet de la direction, les dernières réunions confirment que l’augmentation des horaires risque, elle aussi, de changer profondément notre vie au quotidien.
Au lieu d’améliorer les conditions de travail de celles et ceux qui assurent des horaires à rallonge, souvent dans le stress et la pénurie, le Grand accord va encore aggraver cette situation. Et l’astuce pour officialiser ce recul social s’appelle « forfait jours ».
En quoi consiste le forfait jours ? Il s’agit de fixer aux salariés concernés le nombre de jours travaillés par an, sans payer les heures supplémentaires qu’ils réalisent au-delà des 35 heures légaux. Beaucoup de salariés ne comptent pas leurs heures. Le forfait jours permettra de généraliser et, surtout, de légaliser une situation qui souvent ne l’était pas. Donc, il sécurise cette anomalie pour l’employeur et prive les salariés de moyens légaux. Mais voyons concrètement ce que prévoit la direction.
Le forfait jours : Cheval de Troie pour imposer le recul social
Selon la législation, le forfait jours s’adresse
- aux « cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés » ;
- aux « salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps (…) ».
Le projet initial de la direction envisageait le forfait jours pour une partie des cadres techniques et administratifs et pour les journalistes de production, en excluant les salariés qui assurent du travail posté (journalistes des desks, employé-e-s, ouvriers).
La dernière version du projet de Grand accord « propose » le forfait jours à la plupart des cadres et à « l’ensemble des journalistes » relevant du droit français.
Environ 950 personnes sur un total de 1.400 CDI seraient concernées. Soit le « cœur de cible », notamment les journalistes que la direction affirme vouloir préserver – ce qui en dit long sur les perspectives des salariés « périphériques » .
Pour les salariés travaillant au Siège et en Province (hors Alsace-Moselle), la durée annuelle de travail serait fixée à 203 jours. Compte tenu des congés d’ancienneté, cette durée sera réduite à :
- 201 jours pour les salariés ayant 5 ans de présence à l’AFP
- 199 jours après 10 ans
- 198 jours après 15 ans.
Les salariés en Alsace-Moselle bénéficient de 2 jours fériés supplémentaires. Quant aux expatriés, ils devront travailler 10 jours de plus, mais bénéficieront d’un congé de retour d’expatriation de 10 jours par année de présence à l’étranger, à prendre à leur retour.
Quels horaires ?
« Conformément aux dispositions légales », le projet d’accord limite la durée de travail, à :
- 10 heures par jour, mais 12 heures « pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou pour répondre aux besoins spécifiques des clients »
- 48 heures par semaine
- 44 heures en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives.
Cela ne concerne pas les salariés sous forfait jours : « La limitation du travail journalier n’est pas compatible avec un décompte en jours ».
Seule limite, si l’on veut y croire : des points entre le salarié et son responsable hiérarchique sur la charge de travail, tous les 4 mois, et l’entretien de suivi annuel.
Les salariés sous forfait jours peuvent, comme les autres salariés, être amenés à assurer des astreintes ou la veille éditoriale, les obligeant le cas échéant à intervenir (voir plus loin). A noter aussi que les 2 jours de repos hebdomadaire consécutifs ne sont pas forcément garantis.
Grand accord + forfait jours : quels changements ?
Résultat : tous les cadres administratifs et tous les journalistes passant au forfait jours perdent 4 à 7 jours de repos par rapport à la situation actuelle. Le congé d’ancienneté limite la casse, mais ne la compense que dans certains cas.
A quel prix ?
Au prix d’horaires à rallonge. Parallèlement, la durée de travail des cadres et des journalistes qui ne sont pas sous forfait jours passerait à 39 heures par semaine.
Quelle compensation ?
La plupart des accords d’entreprise sur l’instauration du forfait jours accordent aux salariés concernés une hausse de salaire, parfois substantielle. Rien de tel n’est prévu à l’AFP. Car les caisses sont vides et il s’agit de réaliser des économies.
Aucune compensation financière n’est prévue.
Opter pour le forfait jours ou le refuser ?
Légalement, la modification du contrat de travail faisant « bénéficier » le salarié du forfait jours doit être réversible et basée sur le volontariat. Mais la direction de l’AFP a d’ores et déjà annoncé la couleur : elle n’embauchera plus de cadres et de journalistes qui ne seraient pas prêts à accepter le forfait jours. De plus, les avis de vacance d’emploi préciseront qu’il s’agit de postes sous forfait jours. Autrement dit, avec le jeu de la rotation, dans quelques années, la presque-totalité des salariés éligibles sera au forfait jours, mis à part quelques irréductibles qui seront placardisés.
En résumé
Le forfait jours et le Grand accord n’amélioreront rien pour personne. Mais nous serons très nombreux à trinquer.
Attention aussi aux mauvaises surprises sur des aspects auxquels on ne pense pas de prime abord. Ainsi, la Cour de cassation vient de rendre un arrêt selon lequel il n’est pas possible de prendre une retraite partielle, progressive, si l’on a signé avec son employeur une convention annuelle de forfait jours.
Le cas spécifique des journalistes en travail posté
Quid des journalistes des desks et de la documentation générale ou par exemple des graphistes à l’Infographie ? Rappelons que les journalistes des desks ont obtenu lors de l’informatisation de l’AFP des horaires réduits en raison du travail intensif sur console informatique en position assise continue.
Le projet de la direction prévoit :
- Soit 35 heures par semaine et 4 jours de repos annuel supplémentaire pour tenir compte des « contraintes spécifiques liées à l’organisation du travail du desk » (horaires changeants et décalés, travail du week-end).
- Soit 39 heures par semaine, « si l’organisation du travail du desk le permet », et 7 jours de repos annuel supplémentaire.
Actuellement tous les journalistes bénéficient de 18 RTT annuels.
Par rapport aux pratiques actuelles, même la première option du Grand accord se traduira pour la plupart des journalistes du desk par une augmentation de 1h30 du temps de présence quotidien à l’AFP. Parallèlement, leur charge de travail va augmenter : nouvelle diminution des effectifs et reprise d’activités d’autres services.
Invitée à préciser les conditions d’un éventuel passage de 35 à 39 heures, la direction n’a pour l’instant pas répondu. Mais SUD a une idée sur la question : si la majorité des journalistes d’un desk sont sous forfait jours, qu’est ce qui empêche la direction d’augmenter les horaires ?
Cela peut se réaliser assez rapidement :
- Par l’arrivée de journalistes sous forfait jours (venus de la production ou de l’étranger)
- Par le choix de journalistes du desk qui souhaitent se prépositionner pour un poste de production, en optant pour le forfait jours
- Par le souhait de bénéficier des 10 jours de repos du forfait jours plutôt que des 4 RTT du travail posté.
Le Cheval de Troie arrive au galop !
Employé-e-s, ouvriers : la crise
Pour les employé-e-s et les ouvriers le projet de la direction prévoit :
- Soit 35 heures par semaine réparties sur 5 jours, sans RTT.
- Soit 37 heures par semaine et l’attribution de 4 jours de repos annuel supplémentaire.
Actuellement ces salariés bénéficient de 14 RTT annuels.
La direction n’a pas fourni d’explication quant à un éventuel passage à 37 heures.
A noter que les ouvriers, comme les cadres techniques, ne perdront pas seulement la plupart de leurs RTT mais aussi environ une semaine de congés payés (alignement par le bas, aux 37 jours ouvrés pour tous, plus l’éventuel congé d’ancienneté).
L’indemnité de fin de carrière des employé-e-s et ouvriers ne sera pas reconduite au-delà du 31 mars 2017 !
En 2015, SUD et la CFDT avaient tenté de mobiliser les autres organisations syndicales de l’Agence afin de préserver cette indemnité. En vain…
Tu vas manger, t’es plus payé-e (?)
Actuellement, les salariés de l’Agence bénéficient de la « journée continue », c’est-à-dire que lorsque nous allons déjeuner ou dîner, notre pause repas est considérée comme du temps de travail effectif. La direction a l’intention de supprimer cette pratique, ce qui aura pour effet de reculer (d’au moins 30 minutes) la fin de la journée de travail pour chacun d’entre nous.
Devant l’insistance de SUD pour maintenir le principe de la journée continue, la direction a déclaré qu’elle allait réétudier ce point…
Pêle-mêle : d’autres nouvelles des négociations
Travail du dimanche
Depuis des lustres, l’AFP paie à ses salariés une indemnité de 5,64€ brut par dimanche ou jour férié travaillé. La direction, dans sa grande générosité, envisage de passer à 10€, mais n’est « pas encore certaine que l’équilibre général du Grand accord le permettra ».
Astreintes
Pour échapper aux contentieux, la direction payera désormais le travail jusque là non rémunéré des journalistes qui réalisent des astreintes.
Tarif forfaitaire « low cost » d’une astreinte quotidienne : 15€
Astreinte « renforcée » = Veille rédactionnelle : 25€
Des dispositions spécifiques sont prévues pour les chefs de service et de bureau.
Travailler plus sans gagner plus
Le passage de 35 heures à 37 voire 39 heures entraîne-t-il une augmentation de salaire ?
Question posée par SUD. Réponse : « Non, car il s’agirait d’un enrichissement sans cause ». Visiblement, dans la vie il faut choisir : soit tu bosses, soit tu gagnes de l’argent.
Congé d’ancienneté : certains seront lésés
Attention à la date d’embauche ! « La mise à jour des droits à congé d’ancienneté est effectuée au 1er juin de chaque année ».
Un salarié embauché par exemple le 31 mai 2012 bénéficiera du premier palier de congé d’ancienneté au 1er juin 2017. S’il a été embauché le 2 juin 2012, il devra attendre un an de plus, soit le 1er juin 2018.
La direction n’a pas retenu notre demande visant à éviter cette injustice. Il suffirait de procéder à une mise à jour des droits au 1er de chaque mois, comme cela se pratique pour les automatismes des plans de carrière.
Suite à nos remarques, le congé d’ancienneté sera indemnisé comme les congés payés, en tenant compte de la « règle du 10ème » (souvent plus favorable au salarié).
Prime de nuit
Pour les heures travaillées après 21H00, la direction voulait réserver la prime de nuit aux salariés terminant leur service après 23H00. Cette disposition a été supprimée. Les salariés terminant à 22H ou à 23H continueront donc à bénéficier de la majoration. Sauf, peut-être, s’ils passent au forfait jours. La prime de nuit sera-t-elle versée aux salariés sous forfait jours ? La direction a réservé sa réponse.
Refusons le « travailler plus » !
Jusque dans un passé récent, nous étions nombreux à ne pas compter nos heures et notre engagement. Il existait un consensus large autour des principes fondateurs de l’AFP. C’est dans ce cadre, et grâce aux luttes sociales à l’Agence comme dans le pays, que le personnel a conquis des droits sociaux qui sont aujourd’hui brutalement remis en cause.
Ce pacte social a été rompu en 2015, lorsque le PDG Emmanuel Hoog, en fidèle exécutant des objectifs qui lui ont été fixés par la Commission européenne et le gouvernement français, a dénoncé la quasi-totalité des accords sociaux, avec un but clairement affiché : faire en sorte que l’augmentation de la masse salariale ne dépasse pas 1% par an, mondialement.
Pour défendre les droits des salariés, qui sont le principal capital de l’AFP, il faudra remettre en cause ce cadrage irréaliste et contre-productif.
D’autres voies sont possibles. SUD les a exposées et proposé des perspectives d’action. Résistons !
Paris, le 21 novembre 2016
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)