Qui est le nouveau PDG de l’AFP, Fabrice Fries ? Quel est son projet ? Comment se positionner ? SUD propose ce premier décryptage.
Retour sur les réformes de 2015
A la lecture de la plateforme de M. Fries, « AFP, 2018-2022 - changeons ! », ainsi que des premières réactions syndicales ou de la Société des journalistes, il nous semble qu’il existe un gros malentendu sur les profonds changements intervenus depuis 2015, qui ont abouti à un nouveau modèle de financement et de gestion de l’AFP :
• L’AFP mise sous les lois de marché européennes (accord avec Bruxelles)
• Modification profonde du Statut de 1957
• Création de la filiale AFP Blue
• Signature du nouveau contrat avec l’Etat (COM 2015-2018)
• Renégociation du statut social des salariés de l’AFP (« Grand Accord » de 2017)
• Plan commercial (« 1.000 nouveaux clients »).
L’analyse de ce nouveau modèle développée par SUD depuis 2015 est loin de faire l’unanimité, et pourtant elle semble se confirmer pleinement. Dire aujourd’hui que le Projet Fries est une remise en cause du Statut de 1957, c’est oublier la réforme statutaire de 2015 et ignorer la véritable nature du processus de démantèlement de l’AFP qui est déjà en cours depuis. Rappel des faits :
Le Statut de 1957 (modifié en 2012) définit l’AFP comme entreprise ayant exclusivement des missions d’intérêt général. Structurellement indépendante, elle « ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique ». Sur l’éthique, les deux premiers articles du Statut sont explicites : l’agence doit « donner aux usagers français et étrangers, de façon régulière et sans interruption, une information exacte, impartiale et digne de confiance ». C’est ce Statut spécifique, « sui generis », qui différencie l’AFP de toutes les autres agences mondiales d’information, fonctionnant soit selon le principe de rentabilité, soit sous le contrôle de l’Etat qui les finance.
Le Statut de 2015 maintient les deux premiers articles, mais les vide de leur sens, en précisant qu’à côté de ses missions d’intérêt général, l’AFP a également des activités purement commerciales pour satisfaire une demande d’intérêt particulier. Il inscrit également dans le marbre les Contrats d’Objectifs et de Moyens (COM), signés par l’AFP avec l’Etat (le gouvernement français) ; et il confère au Conseil supérieur un rôle d’auxiliaire de la Commission européenne, chargé de veiller à ce que les subventions publiques versées à l’AFP ne dépassent pas la limite autorisée par Bruxelles. C’est ce qui nous a fait dire que le Statut de 2015 soumettait l’AFP à la double tutelle d’un groupement idéologique (la Commission européenne) et d’un groupement politique (le gouvernement français), la privant de l’indépendance structurelle dont elle bénéficiait jusque-là. L’agence a été dotée d’une « charte éthique » pour dissimuler tant bien que mal cet abandon d’indépendance. Enfin, le nouveau Statut prévoit désormais pour l’AFP les mêmes règles légales de mise en faillite que pour n’importe quelle autre entreprise privée.
Les « mesures utiles », édictées par la Commission européenne, autorisent l’Etat à subventionner le fonctionnement de l’agence au titre de ses missions d’intérêt général. Mais cette reconnaissance est motivée par le fait que les aides publiques existaient déjà avant l’adoption du Traité de Rome. L’autorisation est limitée dans le temps, pour une durée de 10 ans. En 2025, tout sera remis à plat.
M. Fries a une feuille de route européenne
Certes, M. Fries doit justifier le changement de PDG en rappelant le bilan négatif de l’ère Hoog (2010-2018), et en promettant « une nouvelle méthode ». Mais son projet comportant « 10 actions » s’inscrit pleinement dans la même logique de privatisation de l’AFP qui est déjà enclenchée depuis la réforme de 2015.
Plus précisément, il s’agit dans un premier temps de gérer l’agence selon les mêmes critères de rentabilité et de profit que toute autre entreprise privée, et de préparer l’échéance européenne de 2025 : l’année à partir de laquelle les subventions publiques pour l’AFP ne pourront plus être justifiées par ses missions d’intérêt général.
Déjà, la notion de mission d’intérêt général n’apparaît pas une seule fois dans le projet de M. Fries, dont le calendrier prépare l’après-2025 :
Première étape : « L’AFP devra montrer que son plan de transformation la remet sur de bons rails » (p. 8). « La mesure du succès, sur 5 ans, sera le retour de la croissance et des profits ainsi que l’émergence d’une nouvelle génération de produits » (p. 10).
Deuxième étape : une nouvelle réforme du Statut, qui permettra la « capitalisation de l’agence ». « Ce sujet ne me semble pouvoir être ouvert que lorsque ce plan produira ses premiers effets : la réforme du statut n’est donc pas pour moi un dossier du "haut de la pile" » (p. 8).
Troisième étape : 2025. « In fine, le dossier devra se plaider à Bruxelles, qui l’analysera au prisme des aides d’Etat et de la théorie de l’"investisseur avisé" » (p. 8).
Selon une note méthodologique expliquant le « critère de l’opérateur avisé en économie de marché » , il faudra alors être en mesure de « démontrer que dans des circonstances similaires, un investisseur privé d’une taille comparable opérant dans les conditions normales du marché aurait pu être amené à réaliser l’investissement en cause ».
Offensive commerciale
Somme toute, M. Fries compte administrer à l’AFP le même traitement qu’elle subit déjà depuis trop longtemps : « casser l’effet ciseau » entre faible croissance des recettes commerciales et évolution des « charges ».
Parmi les trois « premières mesures » qu’il promet de mettre en œuvre, deux visent à booster le chiffre d’affaires commercial :
La création d’un pôle image (photo+vidéo, quid de l’infographie ?), avec un nouveau plan d’affaires. Objectif : « porter le chiffre d’affaires "image" de 39% actuels à 50% du total en 2022 » (p. 3), ce qui suscite d’ores et déjà de fortes craintes sur l’avenir du texte.
La réorganisation de la fonction commerciale et marketing, avec un audit (p. 6).
Plus généralement, on notera que sur les 10 actions proposées, six concernent l’offensive commerciale, en révisant profondément le plan stratégique de M. Hoog. Si ce dernier insistait sur le projet de transformer l’AFP en première agence sportive mondiale, espérant profiter - sans doute de façon illusoire - des milliards brassés dans le monde du sport professionnel, le Sport est totalement absent du projet de M. Fries.
Tout n’est pas à balayer d’un revers de main dans les projets commerciaux du nouveau PDG. SUD se félicite notamment de la prise en compte d’un argument que nous avançons depuis 2003, année de démarrage du premier Contrat d’Objectifs et de Moyens : nous n’avons pas cessé de réclamer que l’AFP ne cherche pas uniquement des gains rapides sur les marchés solvables mais se positionne surtout de façon stratégique pour satisfaire la demande d’information dans les pays émergents, notamment francophones.
L’Action 5 se fait écho de cette demande : « Proposer sur les marchés émergents, en partenariat avec les opérateurs de télécommunications, des offres B2B2C pour mobiles et tablettes », donc des offres s’adressant aussi bien à une cible de professionnels qu’au citoyen. Reste à voir si la forme de partenariat envisagée, notamment avec un opérateur comme Orange, est la meilleure solution, tant du point de vue de l’AFP que de celui des pays et peuples concernés.
Point positif : en contraste avec le plan commercial de son prédécesseur, celui proposé par M. Fries vise aussi le développement d’activités qui ne sont pas purement commerciales et qui relèvent de notre mission d’information. Ainsi, l’Action 2 a pour l’AFP l’ambition de « pouvoir se présenter sous 5 ans comme généraliste et "multi-spécialiste" » (p. 4).
Alerte aux redéploiements
Le Projet Fries confirme et accentue une orientation qui est déjà inscrite dans le Contrat d’Objectifs et de Moyens 2014-2018 : celle de la suppression d’emplois rédactionnels « statut siège » et des délocalisations, gentiment appelées « redéploiements vers l’international ».
Avec la création du pôle image, les « redéploiements nécessaires vers la vidéo », et la « couverture complète de Live dans le monde » (p. 3), auront des conséquences importantes sur l’organisation de la rédaction et des services techniques.
Quant à l’Action 8 - « Ajuster le maillage du réseau national en lien avec la réforme de l’audiovisuel public », elle confirme l’analyse que nous avons présentée lors de la création de la « région France » en 2013 . C’est bien de la liquidation du réseau France qu’il s’agit, lorsqu’il envisage des réductions de coûts via des synergies entre l’AFP, France 3 et France Bleu, ainsi que la fourniture, « notamment via AFP Services, des pages clés en mains » pour la presse quotidienne régionale (p. 7).
Autrement dit, il inscrit l’AFP dans la logique gouvernementale qui consiste à fortement réduire l’action du service public, pour laisser le champ libre aux quelques grands groupes régis par la loi du profit, qui privatisent et monopolisent l’information dans l’Hexagone, et qui figurent parmi les principaux bénéficiaires d’un dispositif pourtant fortement anticoncurrentiel : les aides à la presse.
M. Fries révèle d’ailleurs pour qui il roule, lorsqu’il écrit dans les conclusions de son document : « Il faut qu’au terme de ce mandat, (…) l’accroissement de la part de l’international doublée d’un retour aux profits permette de restituer aux médias français leur part de l’effort sous forme de remises sur les abonnements » (p. 10).
Si nous avons du mal à déceler cet « effort » des patrons des médias français, cela résume parfaitement l’un des principaux objectifs du gouvernement et du Plan Fries : s’appuyer sur les efforts de l’AFP et de ses personnels, afin d’améliorer la marge d’exploitation des groupes de presse français, en réduisant leurs dépenses de personnel et d’abonnement AFP.
Fabrice Fries, l’homme de l’oligarchie
A la lecture de son document, on est frappé par sa bonne connaissance de l’AFP : visiblement M. Fries a pu profiter du récent audit de la Cour des Comptes (le corps auquel il était rattaché avant sa venue à l’agence), pour se tenir parfaitement informé.
S’il a été élu le même jour que la nouvelle présidente de Radio France, dans des conditions mettant en évidence l’absence d’indépendance de l’AFP [1], il nous semble évident que le pouvoir jupitérien ne l’a pas installé Place de la Bourse pour prendre en main l’information de l’AFP (cela se ferait par des moyens plus subtils), mais sa trajectoire financière.
Car il était devenu évident que son prédécesseur Emmanuel Hoog n’arrivait pas à atteindre le principal objectif fixé : faire progresser fortement le chiffre d’affaires commercial, afin de permettre à l’Etat de réduire durablement la dépense publique pour l’AFP et préparer l’échéance européenne de 2025.
M. Fries est-il l’homme de la situation ? Ne voir en lui qu’un représentant du monde de la communication et des entreprises du CAC-40, en rappelant son passé de « Messier Boy » et ses passages à la Générale des Eaux (Vivendi), chez Havas ou chez Publicis, serait imprudemment réducteur. Car il fait partie de ces énarques qui naviguent allègrement entre Public et Privé, et - atout décisif - il a une solide expérience européenne. Comme le soulignait LesEchos.fr en 2009, il faisait partie de la « dream team » de Jacques Delors, lorsque celui-ci occupait la présidence de la Commission européenne : « La dizaine de collègues du cabinet de Jacques Delors, où il oeuvra pendant cinq ans sous la houlette de Pascal Lamy puis de Jean-Pierre Jouyet, occupent aujourd’hui des postes haut placés à la Commission européenne » .
M. Fries semble donc bien placé pour préparer l’AFP à l’échéance européenne de 2025, et ceci dans l’intérêt de l’oligarchie qui veut tout privatiser, et casser les services publics et notre protection sociale, car elle se soucie peu des intérêts des peuples et de leurs décisions [2]. Les Français n’avaient-ils pas très majoritairement dit NON à cette Europe du libre-échange, lors du référendum de 2005 ?)
L’antisocial
Voilà ce qui nous amène aux conséquences sociales de sa nomination. Outre les « redéploiements » déjà évoqués, cela consiste - évidemment - à poursuivre la pression sur l’évolution des « charges de personnel », avec l’annonce d’un probable plan de départs et d’une énième réorganisation de la DSI (Direction des systèmes d’information). Ainsi, l’Action 7 vise à « lancer une réflexion sur le périmètre et la mission de la DSI (et des moyens généraux) », en envisageant réductions de postes, redéploiements et externalisations.
Que les journalistes se détrompent face à cette approche vraiment très peu originale : comme dans le « Grand Accord » de 2017, personne ne sera épargné par les mesures antisociales programmées dans la logique des Contrats d’Objectifs et de Moyens.
Concrètement, le « lancement de la réflexion sur la DSI » figure parmi les trois dossiers prioritaires identifiés par M. Fries.
Sur le plan de départs, le PDG précise qu’« il faut compter un an environ entre la décision et les premiers départs effectifs. » Selon lui, « dans le cas de la DSI, les efforts de reclassement devront être substantiels car les salariés sont en moyenne assez loin de la retraite » (p. 8). Rien de concret sur les personnels administratifs. Tandis que pour les journalistes, « l’effet d’aubaine du plan sera difficile à éviter pour ceux, assez nombreux, qui ont plus de 65 ans (40 salariés). » Visiblement, le personnel n’est pas le principal capital de l’AFP, aux yeux de M. Fries.
Enfin, alors que l’indice des salaires est gelé depuis plus de cinq ans, on notera que l’absence de toute mention explicite de la politique salariale laisse présager le maintien de ce gel, tel qu’il est d’ailleurs inscrit dans la logique du Contrat d’Objectifs et de Moyens.
Quel positionnement face au Plan Fries ?
Les négociations sur le « Grand Accord » ont montré que les promesses de « résistance » peuvent être douloureusement trahies. Surtout lorsqu’elles ne sont fondées ni sur une analyse pertinente de la situation, ni sur des moyens de lutte qui sont en cohérence avec cette analyse.
Pour pouvoir comprendre le Plan Fries, il faut selon SUD comprendre le processus de transformation en cours, celui qui a été validé en 2015.
Combattre efficacement le démantèlement de l’AFP et des droits sociaux des salariés, n’est possible qu’en s’opposant aux règles européennes de marché et de rentabilité. Sinon il faudra se résigner à accepter ce qui est logique dans le cadre de ces règles : réduction des dépenses, plan de départs, externalisations, dégradation des conditions de travail et de rémunération.
Comme lors des précédentes batailles, le seul rapport de force interne ne suffira pas. Inverser la tendance n’est possible que dans le cadre d’un grand mouvement citoyen, politique et social qui dira STOP aux choix politiques dictés par Bruxelles et par les ordonnances de son représentant à l’Elysée.
Les salariés de l’AFP et leurs représentants ont tout intérêt à s’unir aux autres forces qui déjà se mobilisent pour défendre les services publics, le droit à l’éducation, les droits sociaux et les libertés publiques. A commencer par les cheminots, dont la grève mérite tout notre soutien.
A l’AFP comme partout, résistons !
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
Paris, le 18 avril 2018