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Jurisprudence : les salariés locaux peuvent saisir la justice française

vendredi 15 novembre 2019

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Deux journalistes anglophones de l’AFP, qui étaient en poste à Sarajevo, en ex-Yougoslavie, avant d’être licenciées de façon immorale et illicite, ont définitivement obtenu gain de cause récemment. Leur longue bataille judiciaire est exemplaire et de toute actualité, au moment où l’AFP - pressée de « maîtriser » sa masse salariale - supprime des emplois « statut siège », transforme des postes d’expatriés en postes locaux et prétend résorber de façon volontaire sa dette sociale à l’international.

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Sarajevo : licenciements sans cause réelle et sérieuse

L’affaire a commencé en novembre 2009  : « Les deux journalistes anglophones qui assurent depuis fort longtemps notre présence à Sarajevo - l’une depuis huit ans et l’autre depuis pas moins de 14 - se sont vu signifier que leurs contrats allaient être résiliés, avec la fermeture pure et simple de leur bureau », alertait un communiqué intersyndical.

Dix ans après, le combat judiciaire mené par ces deux collègues intrépides a abouti : dans deux arrêts [1] rendus le 30 janvier 2019 et désormais définitifs, la Cour d’Appel de Paris a condamné l’AFP à verser à chacune d’entre elles plusieurs milliers d’euros au titre de l’indemnité légale de licenciement des journalistes, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en application de l’article 700 du code de procédure civile (frais d’avocat).

Un litige jugé devant les juridictions françaises…

Le premier succès juridique de nos deux collègues et de leurs conseils est d’avoir réussi à imposer que leur dossier soit jugé devant les juridictions françaises, alors qu’elles travaillaient en Bosnie-Herzégovine.

La direction faisait valoir que le litige devait être réglé localement, devant les juridictions bosniaques. Or, les deux journalistes licenciées sont allées jusqu’à la Cour de Cassation, qui a jugé dans deux arrêts [2] prononcés en 2014 qu’elles avaient bel et bien le droit de saisir la justice française. Ces deux arrêts - dont l’importance nous a échappé à l’époque - peuvent faire jurisprudence pour tous les salariés locaux de l’AFP.

Principal argument retenu par la Cour de Cassation : un texte européen, le [règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, qui dispose…

  • que le défendeur domicilié dans un État membre de l’Union européenne peut être attrait devant les juridictions de cet État membre.
  • que, pour l’application de ce règlement, les personnes morales sont domiciliées là où est situé leur siège statutaire, ou leur administration centrale, ou leur principal établissement, peu important qu’elles aient ailleurs un établissement.

Et aussi, peu importe que le demandeur soit domicilié dans un État membre ou ailleurs.

Argument subsidiaire : aux termes de l’article R. 1412-1, alinéa 3, du code du travail étendu à l’ordre international, le salarié peut toujours saisir, à son choix, la juridiction du lieu où est établi l’employeur.

Bon à savoir : l’AFP ayant son siège Place de la Bourse, tout salarié de l’agence, quel que soit son contrat de travail et son lieu de résidence, peut saisir le Conseil de Prud’hommes de Paris – et plus généralement la justice française – pour faire valoir ses droits.

…et en application du code du travail français

La seconde victoire de nos deux collègues bosniaques est d’avoir obtenu l’application de la loi française à leur litige, peu important qu’elles travaillaient hors de France. Lors de la dernière plaidoirie de l’affaire devant la Cour d’Appel, la direction a fini par admettre que le code du travail français était applicable à ces journalistes en poste à Sarajevo et ce, malgré toutes les postures contraires adoptées par l’AFP depuis la rupture des contrats et durant les 10 ans de procédure judiciaire. La Cour a lourdement condamné l’AFP qui avait délibérément violé les règles françaises afférentes au licenciement.

Licenciement sans cause réelle et sérieuse  : selon l’arrêt d’appel, la cessation de l’activité de l’AFP à Sarajevo « ne constitue pas en soi un motif économique à défaut de tout élément de nature à établir l’existence de difficultés d’ordre économique du secteur d’activité du groupe », et chacune des deux journalistes « relève pertinemment que l’AFP n’établit pas avoir mené une recherche sérieuse et loyale de reclassement. »

Indemnité de licenciement des journalistes : les deux journalistes revendiquaient de pouvoir bénéficier d’une disposition du droit du travail français qui prévoit pour les journalistes des indemnités de licenciement nettement plus favorables que pour les autres salariés : au moins un mois de salaire par année ou fraction d’année jusqu’à 15 ans d’ancienneté, selon l’article 7112-3 du code du travail (au-delà de 15 ans - ce qui n’était pas le cas dans ce litige - c’est la commission arbitrale, prévue à l’article 7112-4, qui détermine le montant de l’indemnité).

Même patron, même combat, mêmes droits !

Ce succès important intervient au moment où l’AFP développe le nombre de postes sous contrat local ou régional et supprime des emplois « statut siège ». Déjà, les effectifs de l’agence consacrés à l’international s’élèvent à 1.342 ETP sur les 2.462 ETP (équivalent temps plein) que compte l’agence, soit un taux de 54,5%.

« Diviser pour mieux régner »  : dans la plupart des bureaux se côtoient ainsi des personnels qui ne bénéficient pas des mêmes droits, des mêmes conditions de travail et de rémunération. La direction s’appuie sur les différences de statut et les intérêts parfois divergents de ces salariés : expatriés « statut siège », expatriés « low-cost » sous contrat local, personnels locaux ayant un contrat de travail « régional » ou local, sans oublier les pigistes, souvent très précaires.

L’unité du personnel mondial peut uniquement se manifester une fois tous les cinq ans, à l’occasion de l’élection de ses représentants au Conseil d’Administration de l’AFP. C’est peu, mais pour en arriver là, il a fallu là aussi une longue bataille judiciaire, remportée en 2011 par SUD devant le Conseil Constitutionnel.

Les salariés locaux ne bénéficient généralement pas d’élus protégés par la loi, pour se défendre face à la direction de l’AFP. Exceptions notables, déjà anciennes : dans les filiales allemandes, à Nicosie, ou en Amérique du Nord.

Des initiatives plus récentes ont conduit à la naissance de comités locaux dans les bureaux du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et en Turquie.

Ailleurs, des salariés locaux ont ouvertement adhéré à des syndicats nationaux, saisi l’inspection du travail ou la justice.

  • SUD se félicite de ces initiatives et invite les salariés locaux et leurs représentants à coopérer avec les élus au Comité social et économique (CSE) à Paris, notamment avec les élus SUD, et avec nos délégués syndicaux.
  • Nous appelons les expatriés travaillant sous contrat local à se rapprocher des syndicats ou comités de leur lieu de travail, mais aussi à rejoindre un syndicat du siège. Les statuts de SUD permettent la double appartenance avec tout syndicat local.

SUD soutient toute avancée des droits collectifs - professionnels, sociaux, démocratiques - des salariés de l’AFP, partout dans le monde, quel que soit leur contrat de travail ou leur statut.

Solidaires et unis, nous serons plus forts !

Paris, le 15 novembre 2019 (actualisé le 21/11/19)
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
contact@sud-afp.org


[1Cour d’Appel de Paris, Arrêts N° RG 14/13506 et N° RG 14/13514 du 30 janvier 2019

[2Cour de Cassation, Arrêts N° 1764 FS-D et N° 1765 FS-D du 8 octobre 2014