Accueil > Communiqués SUD-AFP > Covid-19 / Activité partielle des pigistes : Quand l’AFP donne le mauvais (...)

Covid-19 / Activité partielle des pigistes : Quand l’AFP donne le mauvais exemple

lundi 11 mai 2020

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

La direction de l’AFP et tous les syndicats représentatifs, sauf SUD, viennent de signer un deuxième accord d’entreprise sur les conséquences sociales du Covid-19. Certes, cet « avenant » à l’accord du 9 avril 2020 révise la mesure la plus contestable du premier accord – la perte importante de revenu pour les pigistes –, mais il n’est pas à la hauteur de ce que l’on devrait pouvoir attendre d’une entreprise emblématique comme l’AFP, dont le nouveau contrat de financement signé avec l’État (COM 2019-2023) affiche l’ambition de « tendre vers l’exemplarité en matière de responsabilité sociale et environnementale ».

Version imprimable

Un verre à moitié plein, à moitié vide ?

Points positifs  : le nouvel accord limite la prise forcée de jours de repos en mai et garantit à tous les salariés permanents placés en activité partielle le maintien intégral de leur revenu brut.

Points négatifs : l’effort sur les jours de repos n’est pas le même pour tous, étant donné que tous les employés et ouvriers, ainsi que les journalistes et cadres au décompte horaire ne disposent pas du même nombre de jours que les salariés au forfait jours ; le texte désigne toujours les pigistes comme l’unique catégorie de personnel dont le revenu n’est pas maintenu à 100% ; il prévoit des dispositions dérogatoires au droit du travail et aux accords et usages d’entreprise et anticipe sur la réforme de la rédaction dont les modalités n’ont pas encore été négociées.

C’est en raison du poids de ces points négatifs que SUD n’a pas signé cet accord.

Économies sur le dos des pigistes

Les plus fragiles doivent être protégés ! Les syndicats nationaux de journalistes l’ont à juste titre souligné, en réclamant que les pigistes soient indemnisés selon les mêmes critères que les journalistes permanents.

A l’AFP, cela n’a pas empêché les syndicats majoritaires de signer l’accord du 9 avril 2020, qui ne garantit aux pigistes réguliers qu’un maintien à 85% de leur rémunération moyenne mensuelle brute. Avec - mesure particulièrement mesquine - l’obligation de rembourser en 2021 l’éventuel « trop perçu », si cette compensation leur aura permis de gagner plus en 2020 qu’en 2019.

Sans aucun doute, les pigistes réguliers seront soulagés de voir qu’en vertu de l’avenant du 6 mai 2020, l’AFP renonce à réclamer ce remboursement. Selon la direction, leur mise en activité partielle permettra de maintenir environ 92% de leur revenu habituel net. Mais ce dispositif valable plusieurs mois requiert le feu vert des services de l’État (Direccte), et rien ne garantit que le niveau de 92% sera conservé au-delà du mois de mai si l’État baisse sa prise en charge.

SUD note également que dans le salaire de référence pris en compte, la direction exclut le 13e mois et le 10e de congés payés. Est-ce bien normal ? En brut, les pigistes toucheront souvent encore moins que 85% de leur revenu habituel, avec de possibles répercussions sur les cotisations chômage et retraite.

Mais surtout : pourquoi demander aux salariés des sacrifices financiers ? Et, dans cette logique que SUD rejette, pourquoi est-ce que les journalistes les plus précaires - les pigistes - sont les seuls à subir des pertes financières ?

Permanents = couteaux suisses, pigistes = sous-journalistes ?

Selon le texte de l’accord, les signataires « s’accordent sur le fait que, pour assurer le maintien de l’activité, un recours individualisé à l’activité partielle pour les journalistes payés à la pige est nécessaire. » (souligné par nous)
L’AFP demandera donc à la Direccte de l’autoriser à mettre les quelque 170 pigistes réguliers en France sous le régime d’activité partielle à compter du mois de mai (piges d’avril).

Problème : comme le PDG Fabrice Fries l’a souligné le 5 mai dans son message adressé au personnel, « nous avons la chance de ne pas être pris à la gorge : les pleins effets de la crise sur notre cœur de métier ne devraient pas se faire sentir avant quelques mois. » Du coup, comment justifier qu’une partie du personnel soit mise au chômage partiel ? Les pigistes, et seuls les pigistes.

L’explication validée par les signataires de l’accord fait appel à la conscience professionnelle des journalistes permanents tout en étant discriminante et limite insultante pour les pigistes :

« Afin de maintenir son activité, l’AFP doit pouvoir s’appuyer sur les compétences spécifiques des journalistes permanents, à savoir :

  • leur polyvalence
  • leur adaptabilité. »

Quant aux pigistes, ils « ne sont pas soumis à cette mobilité professionnelle (ni géographique) et sont souvent spécialisés dans un domaine particulier ». Donc « ils sont moins facilement polyvalents » et « les concernant, le maintien d’activité est de ce fait nécessairement limité. »

Pour SUD, la seule différence entre les permanents et les pigistes réguliers est leur statut social, la nature précaire de leur contrat de travail. Il suffit de voir sur qui repose en grande partie l’activité du service vidéo (AFPTV), pour se rendre compte qu’il s’agit de faire tourner ce service phare de l’Agence en employant du personnel « low-cost » !

Covid-19, prétexte pour imposer de nouveaux sacrifices

L’accord signé à l’AFP (validité jusqu’au 31 décembre 2020 !) s’inscrit explicitement dans la logique des ordonnances du gouvernement qui dérogent aux droits civiques et sociaux en instaurant l’état d’urgence. On dirait que la direction a sauté sur la belle occasion pour réaliser quelques économies et imposer les notions de « polyvalence » et d’« adaptabilité » qui sont au cœur de la future réforme de la rédaction.

A ce titre, les articles 4.1 et 4.2 du texte sont plus qu’inquiétants. Ils définissent les journalistes permanents comme couteaux suisses et pions que la direction peut déplacer à sa guise. Fâcheux précédent ! Car jusqu’à présent, les termes « polyvalence » et « adaptabilité » n’avaient jamais été validés par les organisations syndicales de l’AFP. Dans le contexte actuel, ces notions permettent à l’employeur de demander toujours plus d’efforts, sans contrepartie.

L’enjeu n’est pas financier, il est idéologique

Que l’agence mondiale AFP, subventionnée en 2019 à hauteur de 124,4 M€ par l’État, décide de mettre ses journalistes les plus précaires en activité partielle, sans maintien de leur revenu, est un signal extrêmement négatif. Le refus de compenser à 100% est avant tout idéologique, puisqu’il permettra à l’ensemble des patrons du secteur de la presse et des médias de dire : « regardez, même l’AFP… ! »

Selon nos estimations, si aucune pige n’est réalisée, l’indemnisation à 70% via le dispositif de chômage partiel coûte aux finances publiques 141.750 € par mois. Si l’État indemnisait à 100% (par exemple via une subvention exceptionnelle à l’AFP), cela ne coûterait que 60.750 €/mois supplémentaires !

S’adressant au personnel, M. Fries souligne le rôle primordial de l’AFP dans la situation actuelle et pour les « “plans de continuité” de nos clients médias ». Pourquoi ne s’adresse-t-il pas avec cet argument au gouvernement, en demandant une subvention exceptionnelle, au lieu d’insister sur la nécessité de faire toujours plus d’économies sur le dos du personnel ?

Refusons de faire les frais de la crise ! Résistons !

Paris, le 11 mai 2020
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
contact@sud-afp.org