Des négociations sur la répartition des droits voisins versés à l’AFP par les GAFAM ont été ouvertes le 10 janvier 2022. Ces négociations font suite à l’accord signé le 11 novembre 2021 par notre PDG Fabrice Fries avec Google et à la Négociation annuelle obligatoire 2021. NAO marquée par le refus de la direction de compenser l’inflation par une réévaluation substantielle des barèmes et la promesse vague de nouveaux revenus liés à la participation et à la répartition des droits voisins [1].
SUD ne partage pas l’enthousiasme de la direction quant aux partenariats et accords avec Facebook, Google et autres GAFAM. Voici nos informations et réflexions en vue de la prochaine réunion de négociation prévue le 2 février.
Accord Google, accord opaque
S’appuyant sur la directive européenne du 17 avril 2019 et la loi française du 24 juillet 2019, le PDG a donc signé avec le mastodonte Google un accord reconnaissant et rémunérant les droits voisins de l’Agence. « Cet accord est pionnier : l’AFP est la première agence à signer, mais aussi le premier acteur en Europe qui ait réussi à obtenir une rémunération spécifique du droit voisin, distinct des prestations commerciales », selon un document de la direction remis aux organisations syndicales représentatives.
Que sait-on précisément ?
- L’accord a été signé pour une durée de cinq ans, mais son montant n’a pas été divulgué, en raison d’une clause de confidentialité sur le montant de l’accord, clause « imposée » par Google selon les dires de M. Fries.
- L’accord sert de Cheval de Troie à Google pour entrer de plain pied à l’AFP. Il comporte un volet sur les droits voisins ainsi que deux contrats commerciaux : un partenariat de contenus (« développement d’un nouveau produit multimédia centré sur les usages mobiles ») et un programme de formation à la vérification digitale.
- Il s’agit d’un contrat signé entre partenaires inégaux : David AFP, dont le chiffre d’affaires commercial se montait à environ 164 millions d’euros en 2020, et Goliath Google, qui affichait en 2020 un c.a. de 182 milliards de dollars (160 mds €) !
- La domination de Google est préservée et protégée. En face, éditeurs et agences divisés. La confidentialité sur les montants négociés permet de dissimuler la faiblesse des sommes cédées par Google au vu des recettes publicitaires qu’il siphonne mondialement et des impôts qu’il ne paie pas dans nombre de pays.
- Le PDG de l’AFP peut gérer en toute opacité. Alors qu’il avait promis la « transparence » lors de son arrivée en 2018, il s’est constamment réfugié derrière le « secret des affaires » pour dissimuler des informations importantes : refus de rendre public le montant de son salaire [2], brouillard autour du financement de l’AFP et de la remise à plat de notre financement public par la Commission européenne à l’horizon 2024/2025 ; il a fallu que SUD saisisse la CADA pour obtenir le texte du Contrat d’objectifs et de Moyens 2019-2023, signé avec l’État [3]. Avec l’accord Google, le futur accord Facebook et tous les autres contrats qui suivront, la part des recettes commerciales de l’AFP relevant du « secret des affaires » ne cessera d’augmenter, rendant toujours plus difficile tout contrôle démocratique par les élus du personnel et par le législateur.
- Les organisations syndicales sont invitées à négocier la répartition des droits voisins payés et à veiller à ce que la part reversée au personnel soit « appropriée et équitable ». Mais, comment faire, quand on ne connaît pas la taille du gâteau à partager ?
Que propose la direction ?
- Les textes de loi prévoient le reversement d’une part des droits voisins aux seuls journalistes. La proposition de la direction va dans le même sens. Les personnels techniques et administratifs seraient donc exclus du dispositif. Pour SUD, c’est une forme de mépris envers ces personnels, sans lesquels l’AFP ne pourrait pas fonctionner.
- La direction propose que les journalistes du monde entier reçoivent une compensation. Point logique et positif.
- L’accord conclu au siège servira de modèle ailleurs. Les montants reçus par les journalistes seront ajustés en fonction du coût de la vie dans leur pays. Le calcul individualisé tiendra aussi compte du temps de travail et de présence sur l’année.
- La direction propose aux journalistes 7% des fonds reçus pour les droits voisins. Et pourquoi pas 20, 30 ou 50% ? D’après nos calculs, pour chaque million d’euros que l’AFP reçoit, 7% correspondraient pour chaque journaliste à une rémunération d’environ 35 €/an (avant ajustement individualisé).
Des questions de fond sont posées
La direction souligne que pour l’AFP, « la valeur créée grâce au droit voisin est strictement réservée au renforcement de sa solidité financière et de sa compétitivité ». Soit ! Voilà donc un nouvel apport financier, dont la direction admet d’ailleurs implicitement qu’il compense au moins partiellement les retards (voire les ratages) du Plan image prévu par le COM 2019-2023. Mais il ne faudra pas qu’après avoir sous-compensé le coût des missions d’intérêt général supporté par l’AFP, l’apport issu des droits voisins serve d’argument pour accentuer encore plus le désengagement financier de l’État !
Pour les journalistes, leur part des droits voisins s’ajouterait au salaire, aux droits d’auteur et à la participation actuellement envisagée par la direction. Gros problème : il s’agira d’une rémunération variable, liée à la durée ainsi qu’au nombre et au volume des contrats signés par l’AFP. Elle ne rentrera probablement pas dans le calcul de nos cotisations sociales ni de notre future retraite.
On est là clairement dans la logique néolibérale qui vise à rémunérer en fonction des résultats financiers de l’entreprise, à geler voire baisser le niveau des salaires et des cotisations sociales, à individualiser les rémunérations et à défiscaliser.
On ne crachera pas sur cette nouvelle rémunération. Mais dans sa stratégie syndicale, SUD privilégiera toujours la défense de nos barèmes de salaires qui sont le fruit de véritables conquêtes sociales : rémunération en fonction des besoins des salariés, de leur qualification et de leur expérience, avec cotisations et impôts pour financer notre protection sociale et nos services publics.
Malgré ces fortes réserves, les délégués SUD participeront activement aux négociations sur les droits voisins, comme toujours dans le but d’informer, de proposer et de défendre la mission d’intérêt général de l’Agence et les intérêts du personnel.
Paris, le 24 janvier 2022
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
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