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Droits voisins : l’AFP invente « l’équité » dégressive !

jeudi 19 mai 2022

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Plus gros sera le gâteau et plus votre part sera proportionnellement petite. Telle est la recette de l’AFP sur les droits voisins qui va laisser les journalistes sur leur faim.

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La loi française l’obligeait en effet à fixer la « part appropriée et équitable » revenant aux journalistes sur ces nouveaux revenus issus des plateformes internet. Mais jamais à court d’imagination, la direction de l’agence a inventé une formule dégressive pour conserver la plus grosse partie du gâteau (en bleu dans le graphique ci-dessous).

Au terme d’un faux bras de fer de trois mois, les principaux syndicats – sauf SUD – ont signé un accord sur les droits voisins qui entérine ce dispositif et fait la part belle à la direction. Seul Google a conclu, en novembre 2021, un contrat sur les droits voisins avec l’AFP pour une durée de cinq années, mais les sommes en jeu sont énormes. On parle ici de millions d’euros versés chaque année. Et d’autres Gafam devraient suivre. L’agence négocie déjà avec Meta (Facebook).

Un pactole à venir ? Pas pour les journalistes. Ils devront se contenter - pour l’instant - de 275 euros brut par an, au titre de 2022, 2023 et 2024. Plus environ 34 euros pour rémunérer la période entre le 15 novembre 2021 (début du contrat Google) et le 31 décembre 2021, et qui seront aussi versés avec 2022.

Tout ça pour ça ! Même les droits d’auteur annuels de la SCAM rapportent plus aux journalistes de droit français…

Pourquoi si peu ? Parce que, au lieu de fixer un pourcentage « équitable » des droits voisins à reverser aux journalistes, afin de déterminer la somme qui sera ensuite à répartir entre les bénéficiaires, la direction a proposé un système fumeux de forfait annuel par paliers.

Un taux de réversion très faible

Si le montant total des droits voisins perçus par l’AFP se situe entre 0 et 4,25 millions d’euros, chaque journaliste (pour un temps plein) recevra 275 euros par an. Le forfait passera à 300 euros pour la tranche entre 4,25 et 5 millions d’euros et augmentera ensuite de 25 euros pour chaque million supplémentaire jusqu’à 7 millions (au-delà, une nouvelle négociation doit s’ouvrir, mais à défaut, le forfait continuera d’augmenter de 25 euros pour chaque million supplémentaire).

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Vu l’écart de 25 euros entre deux tranches, le taux de réversion des droits voisins pour les journalistes ne fait en réalité que diminuer à mesure que la somme augmente.

Mais impossible de vous donner le pourcentage exact car le contrat Google contient une clause de confidentialité pour garder secret son montant. (Cf. le communiqué SUD « Droits voisins : Le point sur les négociations » du 3 février 2022)

SUD peut néanmoins vous affirmer que le taux actuel est très éloigné des 40% réclamés par tous les syndicats en début de négociation, même dans la première tranche du système par paliers dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Dans les tranches supérieures, le taux se rapproche plutôt des 7% proposés initialement par la direction.

Alors, pour faire avaler la pilule, la direction a trouvé la parade : elle a accordé l’évidence. A savoir que tous les journalistes de l’agence, y compris ceux de l’étranger, puissent percevoir des droits voisins.

Fausse générosité

En effet, la loi française ne s’applique théoriquement qu’aux seuls journalistes de droit français, le législateur n’ayant certainement pas pensé au cas de l’AFP. La direction a eu alors beau jeu de se présenter comme très « généreuse » en proposant de rémunérer non seulement les CDI, CDD et pigistes français mais aussi les journalistes sous contrat local et régional.

Mais une « générosité » à durée limitée. Car si les syndicats refusaient de signer l’accord, la direction a dit vouloir laisser trancher une commission arbitrale – hors AFP – qui ne se prononcerait que pour la part des journalistes français. Dans ce cas de figure, la direction ne comptait plus rien verser aux journalistes étrangers. Un chantage qui ne dit pas son nom et que SUD a refusé.

Pourtant, c’est une évidence : la production AFP est la somme du travail de tous les journalistes du réseau, et Google verse des droits voisins sur l’ensemble des contenus AFP utilisés, quelles que soient leurs origines et leurs langues.

Bien sûr, le contrat Google a officiellement un périmètre européen, puisqu’il répond à la directive de l’UE sur les droits voisins. Mais en réalité, il est plus large car la direction de l’AFP a reconnu qu’elle ne réclamerait pas d’argent supplémentaire au géant américain pendant les 5 années du contrat si aucune législation contraignante n’apparaissait dans d’autres régions du monde.

L’actuel contrat Google est bel et bien mondial et donc tous les journalistes AFP devaient logiquement en bénéficier !

Et d’ailleurs, les personnels techniques et administratifs de l’agence auraient aussi mérité leur part, comme SUD l’avait souligné au début des négociations.

Des droits pour tous les journalistes... une évidence !

L’attribution de droits voisins aux journalistes sous contrat local ou régional ne ressemble donc pas à une victoire syndicale.

La direction de l’AFP, qui s’inquiétait d’une réaction des salariés locaux et avait commencé à sonder des chefs de poste à travers le monde, évite surtout une bronca dans son réseau et de possibles réclamations ultérieures par voie judiciaire.

En élargissant le périmètre des droits voisins, la direction atténue aussi l’amertume du montant forfaitaire : la somme est quasiment divisée par deux puisque le nombre de bénéficiaires double (journalistes en France et dans le monde), mais les 275 euros semblent paradoxalement plus acceptables si on considère que ce revenu est destiné aussi à des salariés vivant dans des pays où le niveau de vie et les salaires sont plus bas qu’en France.

L’accord, « un compromis acceptable » ?

Oui, si on oublie que la somme de départ était déjà volontairement petite, puisque la direction a gardé l’essentiel du gâteau ! Quand le taux de réversion s’approche de 7%, c’est quand même 93% des droits voisins dans les caisses de l’AFP.

Drôle de générosité et drôle d’équité ! Mais certains verront toujours le verre à 7 centièmes plein…

SUD regrette que la longue négociation se soit conclue ainsi : l’accord est non seulement inéquitable pour les journalistes de l’agence mais il donne en plus le mauvais exemple dans le secteur des médias où l’AFP est souvent perçue comme une référence. Nul doute que la « recette AFP » pour le gâteau des droits voisins va ravir les patrons de presse qui doivent négocier avec leurs salariés…

SUD regrette aussi une fin de négociation bâclée avec un accord conclu à la va-vite, au prétexte que, selon certains, « la rédaction est impatiente » de toucher ses droits…

Nous incitions à prendre le temps a minima d’examiner le texte proposé et SUD avait fait appel à son avocat pour un avis juridique.

Mais la préoccupation principale semblait surtout d’obtenir un versement des droits de l’exercice 2022 en septembre 2022 et non en janvier de l’année suivante comme ce sera le cas pour les exercices 2023 et 2024.

Même la demande des syndicats de limiter l’accord à deux ans pour pouvoir renégocier rapidement la répartition des droits voisins à l’aune des futurs contrats de droits voisins (notamment Facebook) a été abandonnée puisque l’accord est conclu pour une durée de trois ans, comme la direction le voulait.

La vraie attente : des augmentations de salaire

Fallait-il faire vite car l’inflation flambe et que les salaires stagnent à l’AFP ?

Certainement pas ! Ce serait une grave erreur de raisonnement, selon SUD. Car les droits voisins n’ont pas pour vocation à remplacer des augmentations de salaires, surtout quand ces nouveaux revenus ne concernent que les journalistes et excluent les personnels techniques et administratifs.

Pour les salariés de droit français, les montants en jeu ne sont pas du tout les mêmes non plus, surtout quand on sait maintenant que les droits voisins rapporteront 275 euros brut (avant impôts) pour une année complète.

Avec une inflation à 5%, ce forfait compense à peine la perte de pouvoir d’achat sur deux mois d’un salarié touchant 3.000 euros net mensuel ! Ce qui correspond à la situation de beaucoup de journalistes de droit français qui vont perdre presque 2.000 euros sur une année (13e mois inclus).

De ce point de vue, le PDG de l’AFP avait raison quand il a déclaré devant les syndicats au début des négociations que, « dans sa vision », les droits voisins étaient « un petit plus pour les journalistes ».

Maintenant que ce « petit plus » est connu, tous les salariés de l’agence doivent obtenir des augmentations de salaires pour freiner la perte de leur pouvoir d’achat, surtout quand la direction se félicite, sur l’intranet Aurore, que « Les indicateurs sont au vert en 2021 » pour l’agence !

Depuis lors, les syndicats ont obtenu d’avancer le cycle de la négociation annuelle sur les salaires au 24 mai. Mais il faudra désormais faire preuve de combativité et ne pas céder à la pression et au chantage de la direction dont l’unique obsession est de « contenir » la masse salariale de l’agence et qui a tenté de nous distraire avec la participation et les droits voisins.

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Paris, le 19 mai 2022
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
contact@sud-afp.org