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La réputation de l’AFP ne vaut que 2,50 dollars ? La précarité hante l’investigation numérique

lundi 30 septembre 2024

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Si SUD-AFP était sceptique lors de son lancement, force est de constater que l’investigation numérique est devenue une activité majeure pour l’AFP. La direction en parle souvent comme d’une « success story », et non sans raison. Les revenus ont rapidement progressé, passant de 750 000 euros il y a six ans, avant que cette activité ne soit pour la première fois explicitement intégrée à notre mission d’intérêt général dans le contrat d’objectifs et de moyens 2019-2023, à 11,6 millions d’euros l’an dernier. Le PDG Fabrice Fries en a fait l’une des trois priorités stratégiques de son plan 2023-2028 et, selon la direction, l’investigation numérique est une activité rentable.

Mais notre scepticisme n’était pas sans fondement. A la suite de critiques formulées par des fact-checkeurs lors des sessions mondiales de questions-réponses organisées par la direction sur Teams en 2023 et 2024, SUD-AFP a enquêté. Nous avons parlé avec des fact-checkeurs dans différentes régions du monde. Partout il y a du mécontentement et de la frustration car ils sont bloqués sur des contrats à court terme, sans réelle possibilité d’évoluer vers des postes texte ou vidéo. Les conditions de travail varient considérablement entre les pays. Il semble que ceux travaillant pour le contrat conclu avec TikTok soient dans la situation la plus précaire. Beaucoup d’entre eux travaillent dans des conditions plus proches de celles des pigistes que des CDD, payés à la pièce à partir de seulement 2,50 dollars par fact-check. Si la plupart jugent leur rémunération adéquate, c’est uniquement parce qu’on attend d’eux qu’ils ne consacrent pas plus de 10 minutes à chaque fact-check !

Les fact-checks pour TikTok sont très différents de ceux que nous publions sur notre site (https://factcheck.afp.com/) et pour nos clients. Il s’agit simplement d’un résumé en plusieurs phrases de l’affirmation faite dans une vidéo signalée par TikTok en indiquant s’il s’agit ou non d’une désinformation, avec plusieurs liens vers des informations étayant la vérification des faits. Ces fact-checks ne sont pas publiés. Cette activité s’apparente donc davantage à de la modération de contenu qu’à du journalisme.

Ce système de travail à la pièce est un obstacle à la qualité. Les fact-checkeurs subissent une pression – à la fois managériale et financière – pour accomplir leur travail rapidement. La direction insiste sur le fait que ces TikTok fact-checks répondent à nos normes rédactionnelles, mais nous avons constaté que dans la région Asie-Pacifique, ils sont envoyés à TikTok sans relecture. Ce manque de contrôle éditorial est non seulement une violation de nos normes éditoriales, mais il entraîne aussi des risques pour la réputation de l’AFP – TikTok nous avait demandé de vérifier une vidéo qui affirme qu’elle envoie des informations sur ces utilisateurs à Pékin ! Il s’agit non seulement d’un conflit d’intérêt financier, mais aussi d’un conflit qui nous place au milieu d’un champ de mines politique avec un client commercial d’un côté et des gouvernements occidentaux de l’autre, y compris la France. Cette situation est insupportable et SUD-AFP a demandé au Conseil supérieur de l’Agence d’ordonner que nos fact-checks pour TikTok soient transférés à notre filiale qui assure déjà la modération de contenus pour Meta.

Nous saluons la promesse faite par le directeur de l’information Phil Chetwynd, lors de la dernière réunion sur Teams, d’augmenter les formations pour les fact-checkeurs. Mais cela ne suffit pas. Les contrats permanents ne sont actuellement destinés qu’à ceux qui ont déjà des compétences avérées en matière de texte ou de vidéo. Ceci est inacceptable pour une activité rentable, qui constitue une priorité stratégique. L’AFP doit assumer le risque de payer des indemnités de licenciement au cas où elle perdrait un contrat de fact-checking, sinon nous profitons de la précarité.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les conditions de travail des fact-checkers de TikTok, vous pouvez lire notre rapport complet en piece joint.

Paris, le 30 septembre 2024
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)