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L’AFP, agence d’information ou rouage de TikTok ?

mercredi 16 octobre 2024

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SUD tient à remercier la direction d’avoir pris la peine de répondre à son tract et à sa saisine du Conseil supérieur de l’AFP au sujet du contrat entre l’agence et TikTok, à propos duquel nous avons fait part de nos inquiétudes sur le non-respect des normes AFP de qualité éditoriale. Même si la direction ne répond pas directement à plusieurs de nos arguments, son communiqué du 02 octobre 2024 nous apporte toutefois des éléments très importants.

Premièrement, la direction reconnaît que le travail de l’AFP pour TikTok relève de la modération de contenu et non pas du journalisme. Cette précision est cruciale car elle rejoint notre point de vue selon lequel le travail de vérifications que nous réalisons pour le compte de TikTok n’est pas du journalisme, à la différence du fact-checking, qui est une forme de journalisme où les rédacteurs AFP sont tenus de respecter des règles éditoriales strictes, comme c’est le cas pour les fact-checks publiés sur le site https://factuel.afp.com/.

La direction a certes admis qu’elle partageait bon nombre de nos préoccupations éthiques et éditoriales quant à la manière dont l’activité TikTok est structurée. Néanmoins, la direction ne semble pas vouloir remettre en cause son approche de ce travail - réalisé pour le compte exclusif de TikTok - qu’elle voit « comme un rouage dans le programme plus général de modération ». Et ce depuis la rédaction, alors même que la direction reconnaît que sa stratégie visant à obtenir des améliorations « de l’intérieur » avait donné des résultats « encore insuffisants ». Si c’est le cas après tant d’années, alors pourquoi continuer ainsi ??

- Une indépendance très relative -

La direction maintient aussi que « nous travaillons en toute indépendance, comme pour n’importe quel sujet diffusé sur les fils, sans que des éléments ne nous soient envoyés par les modérateurs » de TikTok. Sur ce point, la direction semble faire preuve au mieux de cécité. En effet, l’AFP est contractuellement, d’après nos sources, obligée de vérifier toutes les vidéos que TikTok nous envoie. Et de fait, elles le sont toutes. L’AFP ne peut donc pas choisir les sujets à vérifier parmi tous ceux que lui envoie TikTok, comme elle le fait par exemple avec Meta (Facebook). Le rapport de lʼEuropean Fact-Checking Standards Network (EFCSN), mentionné par la direction, conclut d’ailleurs que le « workflow  » mis en place par TikTok n’intègre pas « l’indépendance rédactionnelle ».

Mais alors, si le travail de vérification pour TikTok n’est pas du journalisme, pourquoi ne pas le placer dans une filiale de l’agence ? C’est déjà le choix qui avait été fait avec le travail « corporate  » de Factstory, pour l’isoler de la production de la rédaction et prévenir cette dernière de toute tentative d’influence de nos clients (grandes entreprises, institutions). Et c’est cette option que prône SUD. Mais la direction s’y oppose, et ses arguments laissent songeurs.

Tout d’abord, la direction estime que les vérifications TikTok doivent être réalisées par la rédaction car elles requièrent des compétences journalistiques et une formation adéquate... Un argument qui ne tient pas debout car notre filiale Factstory réalise bien des activités journalistiques, et elle emploie justement des journalistes avec carte de presse pour le faire.

- Acheter le « label AFP » -

Autre explication avancée : TikTok a exigé des entreprises qui font de la modération pour elle - comme l’AFP - d’adhérer à des organismes tels que lʼInternational Fact-Checking Network (IFCN). Un enjeu majeur, car comme le rappelle la direction, la plateforme doit montrer patte blanche aux autorités européennes en matière de lutte contre la désinformation, ce qui passe par faire appel à des « fact-checkers indépendants et adhérents à des standards et à des normes communes ». Or justement, ce n’est pas le cas avec nos vérifications TikTok, car elles ne répondent pas aux normes internationales du fact-checking. Ces dernières réclament notamment de la transparence envers le grand public sur la manière dont chaque vérification a été réalisée et sur les sources de financement de l’organisation. Une transparence qui n’existe pas avec les vérifications AFP pour TikTok car elles ne sont pas destinées à être publiées (diffusées) auprès des utilisateurs de la plateforme… Autrement dit : la modération à la sauce TikTok n’est pas du journalisme, mais TikTok exige (et paye) pour bénéficier du « label AFP » et faire comme si cela était du journalisme !

- Un modèle bientôt importé en France ? -

Enfin, comme pour montrer sa bonne foi et sa bonne volonté, la direction se dit ouverte pour « échanger davantage » sur ce sujet avec les organisations syndicales... Une bien louable intention, sans doute nécessaire, car SUD s’inquiète déjà du jour, qui pourrait bientôt arriver, où la direction va proposer de mobiliser la rédaction en France pour multiplier les vérifications TikTok alors que l’Europe intensifie la pression sur les plateformes pour lutter contre la désinformation. Pour SUD, c’est inadmissible car les journalistes ne doivent pas être amenés à réaliser un travail incompatible avec leur statut professionnel.

En 1957, les législateurs français ont confié à l’AFP une mission : celle d’informer le public en lui fournissant une information fiable et de qualité. Et c’est pour cela que SUD a interpellé le Conseil supérieur de l’agence en espérant qu’il sera capable de faire des recommandations pour préserver cette mission. La saisine de SUD ne vise pas à obliger l’AFP à se désintéresser de TikTok, Facebook ou Instagram, ou de renoncer à toucher un public souvent jeune, et elle vise encore moins à pousser l’AFP à « rester en dehors » de la « bataille » contre la désinformation… SUD tient simplement à préserver l’AFP comme une agence d’information au service du public et non comme un simple « rouage » des réseaux sociaux. La direction dit avoir fait le choix de participer à un « programme imparfait » pour ne pas « rester au bord de la route », mais elle ne doit pas oublier non plus qu’une sortie de route peut être fatale.

Paris, le 16 octobre 2024
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)