La réforme du fil texte en espagnol dévoilée par la direction révèle à la fois sa brutalité et son manque d’imagination. Elle ne permettra pas d’atteindre les objectifs annoncés et soulève de graves questions sur la gestion de nos dirigeants, tout en privant une trentaine de personnes du sens de leur travail. Un projet néfaste qui préfigure une remise en cause profonde du réseau AFP.
En 2022, à l’aube de son deuxième mandat de PDG, Fabrice Fries avait bien annoncé plusieurs “chantiers” stratégiques dont un sur “la couverture en espagnol et AMLAT”. Ce projet s’était fait discret jusqu’au 29 janvier, quand la direction a présenté aux organisations syndicales un maigre document de dix pages mais au contenu choc : notre service texte en espagnol est très déficitaire et il faut supprimer des postes de statut siège !
Pour faire des économies, la direction prévoit de transférer, au fil des mobilités et départs volontaires, plus de la moitié des postes hispanophones texte parisiens (desk général et desk Sport) vers Bogota et Madrid, et de tailler dans les postes de statut siège à l’étranger (2 ou 3 sur 5).
Un projet fondé sur une analyse bancale
Pour la première fois dans l’histoire récente de l’agence, la direction a isolé le coût des producteurs et éditeurs au niveau mondial, du produit du fil espagnol, pour le comparer aux recettes commerciales. Résultat : un déficit de 7,6 millions d’euros en 2023, soit beaucoup plus, selon elle, que le fil en allemand ou en arabe. SUD conteste fortement cette analyse purement financière, qu’il s’agisse du service en espagnol ou de tout autre service, car si nous recevons un financement public pour notre mission d’intérêt général, c’est précisément parce que la production d’un service d’information complet international n’est pas rentable.
L’analyse est également biaisée car la direction ne semble considérer que les recettes du fil texte en espagnol. Or, nous savons par exemple que des contrats vidéo sont obtenus en proposant un “package” avec du texte, quitte à brader ce dernier. De plus, la photo et la vidéo se nourrissent des dépêches en texte. Si on isole les produits de l’agence comme s’ils n’étaient pas interdépendants, facile de noircir le trait et de dénoncer le manque de rentabilité des dépêches en espagnol.
La direction se dit “surprise” par “l’ampleur des pertes”. Cela nous laisse perplexes : comment la direction, dont les membres clés sont à leur poste depuis au moins 2019, pouvait-elle l’ignorer ? SUD s’interroge sur le sérieux de leur suivi des finances.
Objectif : créer 8 à 10 postes à la vidéo
Après les syndicats, la direction a accepté de rencontrer en visio les journalistes hispanophones du réseau. Tous espéraient avoir des explications et être rassurés sur l’avenir, mais ce fut tout l’inverse : encore plus d’approximations, d’incertitudes et de mépris.
Le discours confus de la direction a laissé les salariés dans un brouillard angoissant et avec l’impression qu’elle n’a pas elle-même de visibilité sur leur avenir. Que faire pour améliorer notre couverture ? Comment gagner de nouveaux clients texte, notamment aux Etats-Unis ? Quelles formations suivre pour mieux répondre aux nouveaux besoins de l’agence ?... Mais au final, rien de concret. Nada ! Aucune vision d’avenir, à part se recentrer sur l’Amérique latine tout en transférant une partie du personnel de Montevideo à Bogota, où les salaires sont notoirement plus bas.
L’objectif à court terme est surtout d’économiser des postes chez les hispanophones pour “transférer des ressources” à la vidéo, ce qui lui permettra de créer “8 à 10 postes” en 2025. Voilà, au fond, le seul véritable projet de développement éditorial de la direction, en dehors de la création d’un poste Planète quelque part…
Et pour compenser le rétrécissement du réseau hispanophone hors AMLAT (29 journalistes), la direction évoque aussi pour la première fois le rôle de l’intelligence artificielle qui, dans un avenir proche, permettra de traduire, selon elle, dans toutes les langues.
“Se débarrasser d’une petite quantité d’emplois”
Quant aux CDD les plus précaires et pourtant essentiels au service, dont certains travaillent non-stop, pas de réponses claires non plus, alors qu’ils devraient au contraire être titularisés au regard de leur investissement. La direction invoque encore la “flexibilité”, la nécessité “d’être patient” ou d’envisager les “opportunités différemment”... tout en annonçant de nécessaires “ajustements”.
La direction ose même demander aux hispanophones de faire preuve d’un peu de reconnaissance alors que plusieurs grands médias réduisent leurs effectifs. Au fond, sa réforme n’est, selon elle, qu’un moindre mal puisqu’il ne s’agit que de “se débarrasser d’une petite quantité d’emplois” ! Certes, il n’y aura pas de départs contraints, elle est beaucoup plus clémente qu’avec Nicosie, où les salariés sont priés d’évacuer les lieux sous trois ans. En somme, une direction humaniste !
Rien ne semble bien clair non plus sur les postes d’expatriés à supprimer (Bruxelles et New York). Confrontée à des arguments solides, par exemple sur l’atout d’avoir un hispanophone dans la capitale européenne, elle se dit prête à en parler. Idem sur le transfert des quatre postes d’éditeurs sport à Paris, transférés à Madrid ou ailleurs, rien n’est définitif !
Conséquence de cette navigation à vue : une véritable souffrance pour nos collègues hispanophones dont l’avenir ne semble tenir qu’à un fil. Déjà frustrés de voir le manque d’opportunités de mobilité au sein du réseau, auquel s’ajoute la raréfaction des missions à l’étranger, les salariés hispanophones de droit français voient se réduire encore les possibilités d’expatriation.
Des promesses qui n’engagent que ceux qui les croient
Pour tenter de les rassurer, la direction leur offre alors un mirage : comme les langues “comptent de moins en moins” selon elle, les hispanophones sont invités à candidater sur n’importe quel poste d’encadrant dans le réseau… Vous êtes les bienvenus ! Suffit juste d’être un manager dans l’âme… et d’avoir l’espoir chevillé au corps quand on connaît les âpres batailles qui ont déjà lieu pour décrocher un poste francophone ou anglophone à l’étranger.
Si l’espoir fait vivre, le manque de perspectives, lui, fait souffrir. La direction n’affiche aucune considération pour ses salariés qui sont déjà maltraités, avec par exemple un desk parisien épuisé, où plusieurs départs n’ont pas été remplacés, où certains travaillent parfois trois week-ends dans le mois.
La direction a ouvertement négligé, comme pour Nicosie, l’impact d’un déménagement de Paris à Bogota sur la vie des salariés. L’idée de partir pour Bogota en statut local ne séduit pas grand monde… Et pour cause ! Ce sera une perte de revenus brutale. Mais au fond, quel est le but de la direction ? Déplacer ou bien placardiser des hispanophones déjà angoissés, déprimés et minés, jusqu’à ce qu’ils voient si peu de sens à leur travail qu’ils démissionnent ? Cela ressemble à un plan de licenciement à 0€ pour une direction qui se targue de veiller sur la santé mentale de ses salariés.
Bientôt de nouveaux sacrifices ?
Quant à l’objectif revendiqué d’assurer “la pérennité du service [hispanophone] par une réduction de son coût et par une réorientation de son contenu vers les besoins de la clientèle latino-américaine”, on peut sérieusement en douter. La direction admet elle-même que les effets de sa réforme risquent de prendre beaucoup de temps. Et même si cela advenait, elle n’économiserait que 2,5 millions d’euros par an à terme, soit un tiers environ de l’actuel “déficit” du fil en espagnol.
SUD déplore que la seule vision d‘avenir de la direction soit de faire toujours moins cher et de manquer de créativité sur le reste. L’AFP ne peut-elle survivre que sur le sacrifice de ses salariés ?
Les personnels de toutes les langues et de tous les métiers doivent absolument soutenir leurs collègues hispanophones pour préserver leurs postes, car tôt ou tard, la direction utilisera les mêmes méthodes et les mêmes arguments pour d’autres services de l’AFP.
SUD demande à la direction de revoir en profondeur son projet et d’y associer les personnels concernés.
Refusons le démantèlement des desks espagnols à Paris et les suppressions de postes hispanophones dans le réseau !
Paris, le 07 février 2025
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)