Vendredi 14 février, une bombe est tombée sur le siège de l’AFP : un article de France Inter, relayé par Franceinfo révèle que l’agence est visée par une plainte d’une journaliste pour des faits de harcèlement et que l’inspection du travail a déclenché un signalement auprès du procureur de la République.
« Nous sommes quand même pas à France Télécom à l’époque de Didier Lombard », s’est exclamé le PDG face aux élus du personnel réunis ce jour-là pour le Conseil économique et social (CSE) mensuel. Une allusion – dans une ambiance particulièrement tendue et agressive – aux élus qui s’étaient inquiétés, quelques mois plus tôt, du risque potentiel de « suicides » en raison d’un mal-être persistant dans l’entreprise.
Un secret de polichinelle
Un secret de polichinelle
Notre PDG s’est indigné vendredi d’une « révélation » qui, à ses yeux, se serait retrouvée sur le bureau de France Inter grâce à des personnes mal intentionnées. En réalité, cette affaire de harcèlement était connue de tous et avait déjà donné lieu à un CSE explosif le 18 octobre 2024 quand l’inspectrice du travail est venue y assister. SUD avait alors fermement soutenu son appel à déclencher une enquête externe alors que la direction, et même certains élus, défendaient une enquête interne. Pour SUD, il était évident que la DRH ne pouvait pas être juge et partie, sachant qu’elle était elle-même mise en cause.
Alors pourquoi n’avoir rien dit ? Car après avoir obtenu la désignation d’un cabinet d’audit, il y a eu consensus au sein des syndicats pour ne pas parler de l’enquête externe tant qu’elle n’aurait pas abouti. Il fallait préserver la sérénité des auditions et aussi protéger les salariés concernés. Surtout que l’enquête était censée s’achever fin 2024.
SUD avait toutefois interpellé la direction et les élus, dès le mois d’octobre, sur la nécessité de lancer un audit général sur les pratiques RH et managériales. Cet examen nous semblait nécessaire quand nous avions dénoncé début 2024 la gestion de plusieurs dossiers de journalistes qui s’estimaient maltraités par leur hiérarchie. Il est devenu évident quand nous avons découvert qu’une vingtaine de dossiers s’accumulaient aussi à l’inspection du travail.
Maintenant que l’enquête externe pour les faits de harcèlement est sur la place publique, SUD réitère aujourd’hui publiquement son appel de l’automne dernier à lancer une enquête externe sur la gestion des ressources humaines à l’agence. Il est plus que temps de le faire, d’autant plus que la législation française offre aux élus du personnel, à travers le CSE, la possibilité de lancer des expertises sans que la direction ne puisse s’y opposer.
Déni et refus d’introspection
La direction a affirmé vendredi qu’elle était « attachée à préserver une culture de ressources humaines bienveillante, qui caractérise l’entreprise depuis des décennies ». Une déclaration qui illustre l’ampleur du déni et du refus d’introspection face à cette plainte.
Pourtant, la direction doit cesser de se voiler la face et admettre, comme elle nous l’a dit vendredi à propos d’une énième réforme de la rédaction présentée en CSE, que « le statu quo n’est plus tenable ». Elle aurait pu aussi se dire désolée que tant de salariés soient allés voir l’inspection du travail. Pas un seul mot de compassion en CSE, mais beaucoup de reproches aux syndicats.
Si la « bienveillance » est de mise, alors qu’elle accepte le lancement d’un audit pour faire la lumière sur toutes ces plaintes ! À moins qu’elle ne mette encore en avant le coût d’un cabinet RH. Dépenser 40.000 euros serait une folie à en croire le PDG, qui a en revanche moins de scrupules à dépenser la même somme pour organiser la « fête du Siège » en septembre.
Et ce n’est pas parce que « près de la moitié des salariés ont plus de 20 ans d’ancienneté » (dixit la direction dans la dépêche AFP sur le sujet), qu’ils sont heureux dans leur travail ! SUD s’insurge contre ce rapprochement pernicieux : l’ancienneté à l’AFP traduit surtout l’attachement viscéral du personnel à cette entreprise unique en son genre, qui nous a souvent fait rêver et à l’impossibilité – pour les journalistes – à retrouver une telle qualité de travail d’agencier ailleurs.
Responsabilité de la haute hiérarchie
Maintenant, il est trop facile de demander à la DRH de faire ses valises, et naïf de croire que sa seule démission changerait fondamentalement les choses. Le problème est, à notre avis, bien plus large. La politique RH est toxique à l’AFP car elle vient en appui des manquements et de l’attitude de la haute hiérarchie de l’agence.
Au sein de la rédaction en particulier, tout le monde constate depuis des années que les hauts responsables semblent inamovibles. Quand ils quittent leurs postes, c’est pour prendre d’autres fonctions de direction. Une sorte de mouvement circulaire qui crée le sentiment d’une caste toute puissante. On le constate par exemple dans la mise en place de réformes sans consultation de la base.
Quant au processus de nomination des journalistes, c’est une grande source de frustration et de souffrance. Certains voient ainsi sans cesse leurs candidatures retoquées, sans explications valables et sans perspective d’évolution de carrière, après des entretiens RH/direction où certains sont malmenés sans considération pour leur carrière. Pas surprenant alors que bon nombre de salariés pensent que le choix final des nominations se fait en réalité sur la base du « copinage ».
La direction doit aussi cesser les procès en déloyauté comme elle a commencé à le faire en CSE, attaquant ceux qui ont parlé aux médias en les qualifiant d’ « idiots utiles » qui aident les ennemis de l’AFP dans une période tourmentée. Aimer son entreprise ne signifie pas garder le silence sur des comportements inacceptables.
Paris, le 17 février 2025
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)