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AFP : Emploi à temps partiel, Précarité à temps plein

jeudi 24 avril 2025

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Le 1er avril, la direction de l’AFP a publié un communiqué en réponse à deux syndicats nationaux français qui avaient critiqué la nouvelle politique de l’Agence visant à imposer à ses pigistes à l’étranger des contrats de prestation de service. Si en France, la loi impose aux médias d’embaucher les journalistes pigistes sous un régime spécial assimilé à un contrat à durée indéterminée (CDI), il n’existe souvent rien de tel ailleurs. Ce statut français n’est certes pas la panacée, mais il offre malgré tout un minimum de couverture sociale aux salariés, même sans un minimum garanti en heures de travail. C’est aussi dans cet esprit que la direction de l’AFP s’était engagée depuis longtemps auprès des syndicats de l’Agence à proposer, autant que possible, des contrats de travail à ses pigistes du réseau afin d’éviter le recours à des contrats de prestation de service. Une promesse qui semble désormais appartenir au passé.

Dans son communiqué, la direction affirme que ses pigistes travaillent dans un « cadre fiscal souvent avantageux » et que ses contrats de type « prestation de service » leur garantissent une « sécurité ». Mais en réalité, l’avantage et la sécurité sont surtout du côté de l’AFP : dans la plupart des pays, un contrat de prestation de services transforme votre travail en service et l’employeur ne paie aucune charge sociale, qui devient la seule responsabilité du travailleur. La direction dit avoir augmenté ses tarifs pour ces journalistes, mais est-ce suffisant pour compenser leurs charges sociales ? Selon les premières infos recueillies par SUD, cela ne semble pas être le cas.

Une exclusivité démesurée

La direction assure également que « l’AFP ne demande d’exclusivité dans la relation que dans le cas des autres grandes agences mondiales ». Un bien bel engagement, mais à valeur limitée quand on connaît la vision élastique de la direction concernant la concurrence. L’exemple d’un collègue du bureau AFP de Lisbonne, dont SUD a déjà fait état en 2024, illustre bien le danger. Ce rédacteur travaillait à temps partiel pour l’AFP avec la possibilité − admise lors de son embauche − de travailler pour d’autres médias. Au Portugal, cette situation de collaborations multiples est réglementée, comme en France, par le biais d’une convention nationale des journalistes et de contrats individuels. L’exclusivité aurait dû concerner uniquement les concurrents directs de l’AFP. Cela n’a pas empêché l’Agence de licencier ce collègue en 2023 au motif qu’il avait travaillé sur un jour de congé comme fixeur pour France Télévisions, un client que l’AFP ne peut en aucun cas présenter comme un concurrent direct.

Après une décision défavorable en première instance, la cour d’appel de Lisbonne a jugé que l’AFP avait outrepassé ses droits en licenciant ce journaliste : elle ne pouvait pas l’employer à temps partiel et lui interdire d’exercer sa profession pour un tiers. La cour estimait que cela violait son droit au travail. Mais la Cour suprême portugaise, saisie ensuite par l’AFP, s’est concentrée sur le fait que le journaliste n’avait pas respecté ses obligations contractuelles et conventionnelles de notification des collaborations multiples, et a finalement validé le licenciement lors d’un jugement rendu début 2025.

Prenons maintenant le cas d’une collègue bulgare qui a travaillé pendant près de vingt ans comme pigiste pour l’Agence, souvent à temps plein et depuis le bureau de l’AFP à Sofia. Le genre de situation illégale que la direction affirme dans son communiqué vouloir « régulariser » en proposant un contrat de prestation de service. Mais pour cette journaliste bulgare, ce changement de statut coïncidait justement avec le départ en retraite de sa collègue titulaire de Sofia et elle espérait obtenir comme elle un contrat à temps plein. Sauf que l’AFP ne lui a finalement proposé qu’un contrat de six mois, avec un salaire bien inférieur à celui de la journaliste texte qu’elle devait remplacer et alors qu’elle devait faire en plus de la vidéo. Pour se justifier, l’AFP a expliqué ne plus avoir besoin d’une journaliste à temps plein en Bulgarie et a invité cette pigiste à travailler pour… d’autres médias sur son temps libre.

Ces deux affaires illustrent parfaitement les incohérences de l’Agence en matière de collaborations extérieures. Dans le cas de Lisbonne, l’AFP s’en est même vraisemblablement servi pour se débarrasser d’un journaliste ayant un mandat syndical. Et plus généralement, elles témoignent de l’extrême précarité de nos collègues, pigistes ou salariés à temps partiel, obligés de collaborer ailleurs pour joindre les deux bouts, avec le risque de se voir reprocher plus tard d’enfreindre la clause de non-concurrence.

Beaucoup de contraintes, peu de rémunération

Le cas de notre collègue bulgare soulève aussi d’autres questions. Car si elle était encouragée à travailler pour d’autres médias, l’AFP lui a néanmoins fait savoir que l’Agence devait rester sa priorité, notamment en cas de breaking news. Une obligation difficile à tenir en pratique si elle devait quitter au pied levé ses autres employeurs pour aller travailler pour l’AFP. De plus, l’Agence attendait de cette journaliste qu’elle effectue une veille éditoriale constante des médias locaux, ce qui paraît également difficile à faire les jours où on travaille pour quelqu’un d’autre. Là encore, on constate que l’AFP tente d’imposer des conditions déraisonnables : un travail à temps plein mais avec le salaire d’un temps partiel. Et ce, pour une durée limitée ! Est-il donc surprenant qu’elle ait refusé ?

Même si ces deux affaires se sont déroulées à l’étranger, cela ne signifie pas pour autant que les salariés de droit français de l’AFP soient immunisés contre de tels abus. Dans les bureaux de province par exemple, le manque d’effectifs impose aux journalistes de multiplier les astreintes − les soirs et week-ends −avec une veille éditoriale. Or, l’AFP refuse de voir cette tâche comme des heures de travail et se contente de verser une faible indemnité forfaitaire. SUD a déjà contesté ce mode de fonctionnement devant les tribunaux et a perdu, le juge ayant estimé que passer une soirée à regarder les journaux télévisés, surveiller les réseaux sociaux et ses e-mails n’empêchait pas un journaliste de vivre une soirée normale en famille. Ce n’est évidemment pas l’avis de nombreux journalistes, qui se plaignent de ne pas pouvoir concilier leur vie professionnelle et leur vie privée. Un problème que reconnaît tout de même la direction, mais sans prendre de véritables mesures pour y remédier.
L’AFP a en revanche été inventive pour faire face aux légitimes démarches de certains pigistes réguliers souhaitant obtenir une titularisation et mettre fin à leur précarité après de nombreuses années passées à l’agence.

Pour éviter des procès qui s’annonçaient défavorables, l’Agence a accepté d’embaucher plusieurs d’entre eux en reconnaissant leur ancienneté − et le niveau correspondant sur les grilles salariales AFP − mais sans les payer plus. Pour y arriver, la direction a trouvé comme astuce de les embaucher à temps partiel, avec un prorata du temps de travail calculé de sorte que leur salaire soit à peu près équivalent au montant mensuel moyen de leurs piges !

Salarié ou super pigiste ?

Ces journalistes se retrouvent désormais sur les plannings des bureaux de province comme les autres staffs, mais à 50 ou 60% d’un temps plein. Ce qui ne va pas non plus sans certains problèmes d’organisation car l’Agence a du mal à faire le deuil de ces pigistes autrefois disponibles quasiment 24h/24 et 7j/7. L’AFP voudrait bien que leurs jours de travail coïncident avec les jours de grosses actualités… même au dernier moment. Difficile dans ces conditions pour ces salariés à temps partiel de profiter de leur temps libre ou bien de travailler pour un autre employeur s’ils souhaitent compléter leur salaire partiel de l’AFP.

Tous ces exemples, en France et à l’étranger, démontrent que la rhétorique de la direction sur sa supposée bienveillance envers les salariés de l’Agence ressemble plutôt à une mauvaise blague.
Et quand on prétend défendre des principes, il est bon de les appliquer sur l’ensemble du réseau AFP. Car on a vu trop souvent la direction invoquer la législation locale pour éviter de faire ce qui est juste, y compris lorsque la mesure souhaitée ne contrevient pas à cette législation et que rien n’empêche l’Agence d’être mieux-disante !
L’audit général sur les risques psychosociaux à l’AFP, qui va être bientôt lancé, présente une opportunité pour faire entendre cette précarité et exiger un traitement plus juste entre tous les journalistes du réseau, en commençant par des politiques RH rationnelles et équitables.

On peut toujours espérer aussi que la loi et les tribunaux vont pousser l’Agence à faire ce qui est juste. Parfois cela fonctionne. Mais il est également nécessaire de se mobiliser collectivement pour défendre nos conditions de travail dans l’ensemble du réseau. Et ce, d’autant plus que la direction s’apprête à imposer dès 2025 de nouvelles économies, de nouveaux sacrifices (emplois, statuts) ou de nouvelles réorganisations pour faire face aux difficultés économiques de l’AFP qu’elle n’a pas su anticiper.

Ce respect des valeurs − que ce soit du journalisme ou du traitement digne des salariés − sera notre seul recours face aux défis politiques à venir qui menacent nos emplois, notre sécurité et nos libertés. Battons-nous pour le droit d’avoir une vie de famille et une vie personnelle à côté d’un travail essentiel à la société. SUD a besoin de vous pour mener ce combat et faire entendre la voix de tous les salarié.e.s.

Paris, le 24 avril 2025
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)