La direction, en annonçant son score presque parfait (98/100) dans l’index égalité professionnelle femmes-hommes pour l’année 2024, a souligné que sa progression depuis l’introduction de cet indicateur « est le résultat d’une démarche volontariste menée par l’AFP au fil des années en faveur de l’égalité femmes-hommes ». En France, cet index est d’ores et déjà très critiqué pour ses critères trop larges qui masquent les cas spécifiques de discrimination salariale entre femmes et hommes occupant le même poste. Mais à l’AFP, un gigantesque angle mort rend notre score presque mensonger : en effet, l’AFP ne mesure que l’égalité parmi les salarié.es français.es, alors qu’elle est une agence mondiale qui emploie des salariés à l’étranger. Et justement, une affaire récente remet vraiment en doute le sérieux de l’AFP dans son engagement pour l’égalité professionnelle.
Une photographe de statut local s’est aperçue que son collègue masculin était mieux rémunéré qu’elle à poste égal. Surprise, elle a souhaité aborder le sujet avec ses supérieurs qui ont d’abord refusé d’en parler, puis nié en bloc et enfin refusé de corriger complètement la situation. A force d’insistance, notre collègue a obtenu une augmentation réduisant l’écart sans le combler totalement. Elle a alors décidé de déposer plainte auprès du tribunal local pour discrimination salariale.
Selon les documents soumis au tribunal, le photographe était payé 82% de plus que sa collègue femme, au même poste, fin 2022. Leur différence d’ancienneté (18 contre 27 ans) justifiait en partie l’écart de rémunération, mais pas un gouffre de 82%. Si la photographe avait travaillé en France, avec son ancienneté, elle aurait été RED 4, selon la grille salariale des journalistes sous l’accord d’entreprise français. L’écart avec l’échelon RED 8, le plus haut rang de cette grille, pour un rédacteur en chef avec des responsabilités plus importantes, est de 55%. Ainsi, même dans ses rêves les plus fous, la direction ne saurait justifier un écart salarial de 82% entre deux photographes qui accomplissent le même travail.
L’AFP n’a pas contesté l’énorme différence entre les deux rémunérations. L’Agence a toutefois argué que la législation locale permettait d’accorder des primes en fonction des performances des salariés. Le photographe ayant remporté plusieurs prix, il leur a semblé normal de le payer plus. Mais la direction n’a pas mentionné devant le tribunal les prix remportés par la photographe, ni le fait que sa charge de travail avait été considérablement plus élevée que celle de son collègue ces dernières années.
Le tribunal de première instance a donné raison à l’AFP cette année : l’Agence était dans son « bon » droit (local !) de rémunérer les deux salariés différemment en prenant en compte plusieurs facteurs comme leurs qualifications, leur expérience professionnelle, la difficulté, la quantité et la qualité de leur travail. Le juge a reproché à la photographe de ne pas avoir négocié sa rémunération plus tôt dans sa carrière. La photographe a fait appel de cette décision.
Seulement des économies sur la vérité
Après sa victoire juridique, l’AFP a licencié la photographe dans le cadre d’une mesure de « licenciement économique ». Soudain, dans un bureau pourtant confronté à une actualité dense et beaucoup de breaking news, l’AFP a souhaité réduire le nombre des postes ! Nous sommes dans un contexte économique certes difficile, mais notre direction ne cesse de vanter qu’elle n’a pas réduit les effectifs journalistes à l’instar de nos concurrents. Néanmoins, la foudre a frappé précisément notre collègue à la sortie du tribunal. Mais cet orage financier pour l’Agence n’a dû être que passager parce que l’AFP a envoyé deux photographes en renfort dans ce même bureau pour couvrir un important évènement en l’absence de notre collègue. Et finalement, la direction a affiché le poste pour remplacer la photographe licenciée ! Il ne s’agissait donc que d’économies sur la vérité.
Le cas de cette photographe est en outre révélateur d’une pratique très répréhensible. Son salaire et celui de son collègue étaient présentés comme un montant forfaitaire, sans indication du salaire de base et des diverses primes. Le juge de première instance a indiqué qu’aucun élément ne prouvait l’existence d’une discrimination, l’AFP n’ayant jamais détaillé les divers éléments composant leur rémunération. Pratique !
SUD a déjà dénoncé le problème des primes : sans définition ni critères d’attribution clairs, leur utilisation peut devenir discriminatoire. En France, c’est le cas avec la prime de rendement. Notre accord d’entreprise fixe les conditions d’utilisation très restreinte de cette prime, mais la direction l’utilise pour d’autres cas, y compris pour attirer de nouvelles recrues à l’AFP. Cela démontre l’inadéquation de nos grilles, mais au lieu de les corriger, la direction les court-circuite et tue l’égalité salariale.
Comme si cela ne suffisait pas, notre collègue a signalé l’attitude brutale et particulièrement déstabilisante de ses encadrants juste avant son licenciement. En détresse, elle a recouru aux consultations psychologiques d’Eutelmed et signalé sa situation à la direction en France. Mais les responsables n’ont pas accusé réception de son signalement. Pour notre collègue, cette absence de réponse, même formelle, a été encore plus douloureuse. Autre aspect gênant pour nous, les enquêtes sur les alertes harcèlement à l’étranger sont déclenchées uniquement par la direction et la personne lanceuse de l’alerte n’est pas consultée. Cela nuit considérablement à la crédibilité de ces enquêtes, à notre avis. La direction brandit le respect de la législation locale pour sa défense. Mais rien n’empêche de mener une enquête plus inclusive et exhaustive.
L’AFP dispose d’un socle éthique. Toutefois, les valeurs ne sont pas que des jolis mots sur un dépliant en papier glacé avec des photos spectaculaires. Les valeurs ne se limitent pas au respect de la législation locale. Elles doivent exprimer ce que nous croyons juste et équitable et se traduire par des politiques claires et appliquées. L’AFP peut s’engager à structurer la rémunération de façon transparente partout dans le monde pour s’assurer qu’il n’y a pas de discrimination salariale. La direction est capable de bâtir un système plus robuste pour enquêter sur les alertes sur des cas de harcèlement. Alors pourquoi ne le fait-elle pas ? Bonne question. Pourquoi n’insistons-nous pas ? C’est une meilleure question. Nous méritons mieux, n’est-ce pas ?
Paris, le 06 juin 2025
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)