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Le plan d’avenir de l’AFP : l’Artificielle France-Presse ?

vendredi 10 octobre 2025

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C’est avec enthousiasme que l’AFP s’est lancée dans un futur fait de machines qui pensent en probabilités. Au même moment où la direction espère supprimer 70 postes pour économiser, elle nous encourage vivement à travailler avec Copilot pour trouver “des idées de titre”, “travailler des formulations”, “enrichir certaines parties” ou générer des “nouveaux formats”. L’IA ne s’appuie pourtant pas sur la déontologie journalistique pour ce faire, mais plutôt sur des automatismes et des lignes directrices fixées par son créateur. Alors pourquoi se précipiter ?

Rappelons d’abord un fait vite oublié : l’IA n’est pas un miracle. Sur le plan environnemental, elle accapare les ressources en eau et en électricité pour ses data centers de façon exponentielle. Entre leurs murs, des serveurs nécessitant des puces fabriquées à partir de minerais critiques s’empilent par centaines de milliers. Sur le plan social, ce n’est pas la machine qui apprend et invente toute seule, mais bien des humains qui étiquettent et vérifient à longueur de journée les informations pour aider l’IA à interpréter et trier les contenus. L’IA ne crée rien de nouveau, elle ne fait que reproduire à l’infini les modèles qu’on lui donne, en siphonnant par ailleurs les contenus produits par d’autres sur internet pour répondre à nos consignes, et cela sans contrepartie pour les auteur.ice.s. Dans la mesure où l’utilisateur est prié de toujours vérifier la production IA, doublant ainsi l’exécution d’une tâche, est-ce que l’IA aide vraiment l’utilisateur ou bien est-ce l’inverse ?

Les limites, dérives et problématiques soulevées par l’IA s’accumulent. D’abord, force est de constater que chaque bloc géopolitique a la sienne, prouvant ainsi les biais idéologiques et le terrain de guerre de l’information et d’espionnage qu’elle représente. Or “Copilot utilise par défaut une version customisée par Microsoft de GPT 4, une IA de type LLM développée par OpenAI”. Peut-on imaginer l’AFP faire l’apologie de DeepSeek comme elle promeut Copilot ? Nous constatons même un peu d’ironie dans le fait que la direction promeut le chat de Microsoft et non pas celui de Mistral… cocoricon’t ! L’AFP, infiniment fière et ferme sur le refus de toute ingérence extérieure, laisse donc la porte grande ouverte à Copilot avec la possibilité de coller des dépêches entières dans le chat, celles-ci étant soi-disant protégées par notre contrat avec Microsoft. Lors du webinaire sur l’usage de Copilot, SUD a appris que puisqu’une requête sur le chat est en fait une recherche Google faite par un tiers, notre usage de cet outil n’est pas confidentiel. Dans un monde où les géants de la tech rechignent à payer les factures AFP et soutiennent une politique qui éjecte les journalistes du Bureau ovale, la direction trouve encore le loisir d’utiliser un gadget numérique dont tout le monde a su se passer jusqu’à maintenant. Et que dire de nos futures batailles juridiques avec Open AI au sujet des droits d’auteur !

Une balle dans le pied ?

Comment s’assurer d’un usage sain de l’IA ? Cet usage sain est-il seulement possible ? On ne peut que constater le contraste entre les capacités réelles de Copilot (lire un document, faire une recherche Google ou croiser des données) ; et les fantasmes de la direction sur le “bouleversement technologique”. Ce qui est sûr, c’est que ce collègue pas comme les autres va être de plus en plus plébiscité par une direction qui n’a pour seule vision stratégique que de vider la rédaction de ses journalistes afin de faire des économies… Mais alors, si Copilot peut écrire à notre place, si l’AFP ne devient qu’un avatar générateur de dépêches basées sur des communiqués de presse, quel genre de clients peut-elle convaincre ? Nos clients médias se montrent déjà critiques quant à notre contrat avec Mistral qui reçoit nos actualités avec seulement quatre heures de retard. Selon nos collègues commerciaux, ces clients estiment que ce délai est insuffisant pour gagner de l’argent et exigent que l’AFP baisse son prix. Nous nous sommes tiré une balle dans le pied sur le plan commercial. L’abonnement AFP sera-t-il aussi compétitif que l’abonnement OpenAI ?

Nous ne sommes pas dupes : l’IA ne règlera que des problèmes de dirigeant en quête d’obéissance à moindre coût, puisqu’elle ne remplace aucunement les humains qui vivent et décrivent le monde. SUD s’est permis de demander directement à Copilot quel usage une agence de presse devrait faire de l’IA : selon lui, cette aide “ne doit jamais se faire au détriment de l’indépendance éditoriale ni de l’emploi non remplacé sans réflexion”. L’IA n’est en aucun cas l’aide attendue pour combler les vides laissés par les réorganisations du personnel : les services proposés promettent un gain de temps qui se compte en minutes ou en heures, mais en aucun cas de quoi remplacer un.e salarié.e comme certains aimeraient le (faire) croire.

SUD réclame une charte d’utilisation claire de l’IA élaborée avec les salarié.e.s. Nous souhaitons aussi un engagement pour la préservation des postes menacés par cette technologie : relecture/traduction sur les desks, création de contenus pour data-visualisation, rédaction de texte, et bien d’autres encore parmi les personnels techniques et administratifs. SUD réclame également un suivi sérieux en CSE des contrats signés avec les sociétés d’IA et de la stratégie commerciale associée, incluant un volet sur les droits voisins. La plus grande prudence est de mise quant à l’usage d’outils qui se parent d’innocence : à trop vouloir se faciliter le travail, il se pourrait qu’on en perde la valeur !

Paris, le 06 octobre 2025
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)