Après l’Assemblée nationale, le Sénat : les parlementaires français s’apprêtent à porter un coup fatal au Statut d’indépendance de l’AFP, dans le cadre d’une manœuvre d’urgence opaque et peu démocratique.
Alors que le PDG Emmanuel Hoog célébrait le 19 janvier dernier les 70 ans de la libération de l’AFP, en présence d’un large échantillon de la classe politique allant du président François Hollande à Marine Le Pen, et en un lieu hautement symbolique - l’ancienne Bourse des valeurs (Palais Brongniart) -, la casse du Statut de 1957 avance en procédure accélérée.
Prochaine étape : la proposition de loi Françaix, déjà adoptée par les députés, passe le 5 février en séance plénière au Sénat.
SUD a extrait les amendements concernant l’AFP dans un fichier pdf. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les changements proposés mériteraient un débat approfondi.
M. Hoog a-t-il lu ces amendements ? Confirmant l’impression qu’il n’a pas la main sur ce dossier - et que ses préoccupations personnelles se situent ailleurs - le PDG a affirmé lors du Comité d’entreprise du 23 janvier qu’il n’y avait "rien de nouveau" sur les changements en cours pour l’AFP. La lecture des amendements présentés au Sénat nous fait penser le contraire.
Le COM inscrit dans le Statut
Rappel du précédent épisode : l’Assemblée nationale, dominée par la gauche libérale, a procédé à un changement majeur, en mettant le Statut de 1957 en conformité avec les "mesures utiles" dont l’adoption avant le 27 mars 2015 était réclamée par la Commission européenne. Principaux points :
• L’inscription, dans le Statut, d’un paragraphe autorisant l’AFP à avoir des activités commerciales qui ne relèvent pas de sa mission d’intérêt général.
• La modification des dispositions sur l’éventuelle faillite de l’AFP, qui lui appliquent désormais les mêmes règles qu’à toute entreprise privée.
SUD a largement expliqué en quoi ces modifications constituaient une révision historique des principes fondateurs de l’AFP. Révision décidée en l’absence d’un débat démocratique et transparent, alors que le principal document de la Commission européenne explicitant ces changements - la "lettre de mesures utiles" du 28 mars 2014 - n’a toujours pas été rendue public.
Nous constatons sans surprise que le Sénat, dominé par la droite libérale, s’approprie ces changements en les poussant encore plus loin. En effet, les deux principaux points décidés par les députés ne font pas l’objet de nouveaux amendements des sénateurs ; ceux-ci concentrent leurs travaux sur la gouvernance de l’AFP, avec l’objectif de la "muscler".
Si l’on doit effectivement critiquer la gestion actuelle de l’agence, et notamment l’action du PDG Emmanuel Hoog (voir notamment le communiqué publié par SUD au moment de sa réélection en 2013 ), toute modification statutaire touchant à la gouvernance doit selon nous découler de la logique générale du texte fondamental de l’agence.
Ainsi, le conseil supérieur, le conseil d’administration et la commission financière formaient dans le Statut de 1957 un subtil ensemble qui découlait de la logique des deux premiers articles du Statut : l’AFP est une entreprise sui generis, sans capital, régie selon les règles commerciales, et qui n’a qu’une seule mission - fournir aux usagers du monde entier une information la plus complète et la plus objective possible (Cf. l’analyse détaillée de Jean Waline, publiée …en 1964 ).
En fixant comme nouvel objectif le développement d’activités ne relevant pas de cette mission d’intérêt général, afin de booster le chiffre d’affaires commercial et de permettre à l’Etat de se désengager progressivement de l’AFP, la gouvernance définie en 1957 devient effectivement obsolète. D’où les amendements proposés au Sénat, dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, mais dans lesquels nous relevons d’ores et déjà deux points :
• Les Contrats d’objectifs et de moyens (COM) imposés à l’AFP par les pouvoirs publics depuis 2003 font leur première apparition dans la loi sur le Statut de l’AFP, via les amendements du Sénat. La Chambre haute poursuit ainsi la logique des "mesures utiles" définies par la Commission européenne, dont nous avons constaté qu’elles revenaient à donner aux COM de l’AFP force de loi. Un coup fatal à l’indépendance de l’AFP ? C’est ce que nous pensons. Réponse plus précise prochainement, lorsque le contenu du nouveau COM sera rendu public (à moins qu’il ne reste quasiment confidentiel, comme celui des précédents COM 2003-2007 et 2009-2013).
• Le conseil d’administration de l’agence sera mis sous la tutelle d’une nouvelle "Commission de surveillance", avec de larges prérogatives à la fois financières et déontologiques. L’amendement sénatorial instaurant cette commission, en fusionnant l’actuel conseil supérieur et la commission financière, traduit une certaine défiance vis-à-vis de la gestion actuelle de l’agence. Défiance que nous partageons. Cependant, il faudra analyser de plus près tous les tenants et aboutissants de cette proposition. Tous les commentaires, y compris ceux de la direction de l’AFP – bien silencieuse sur le sujet -, seront les bienvenus.
Une réforme bâclée
Si l’on ne mesure pas encore toutes les conséquences des mesures actuellement mises en place pour l’AFP, les amendements présentés au Sénat confirment qu’il s’agit bel et bien d’une révision fondamentale du modèle économique et des principes fondateurs de l’agence.
Les répercussions économiques, sociales et rédactionnelles de cette réforme - dont nous avons combattu à la fois le contenu et l’adoption à la hussarde - se feront sentir progressivement dès les prochains mois.
Continuons à défendre l’indépendance de l’agence, sa mission d’intérêt général et nos intérêts sociaux, menacés par les réformes en cours !
SUD ne lâchera rien !
Paris, le 29 janvier 2015
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)