Le 10 novembre, le conseil d’administration de l’AFP a reconduit Fabrice Fries au poste de PDG pour un second mandat de cinq ans sans examiner d’autres candidatures. Le programme présenté aux administrateurs par le candidat unique a été publié sur Aurore avec l’annonce de sa reconduction. Alors quoi de neuf dans le Plan Fries 2.0 ? Et quelles conséquences pour les salariés de l’AFP ? Premiers constats.
En général, les dirigeants qui briguent un nouveau mandat se contentent de bâtir un programme axé sur la poursuite de leur politique. À première vue, M. Fries ne ferait pas exception, s’il n’y avait toutefois pas quelques différences notables.
Pour rappel, le Plan Fries 1.0 [1] consistait principalement en une augmentation des revenus via le développement de notre service vidéo et une réduction des coûts qui s’est surtout focalisée sur le personnel technique et administratif, le plus touché par le « plan de départs volontaires » (2019-2020).
Le pari sur la vidéo a porté ses fruits (grâce au travail acharné de nos journalistes vidéo) mais même M. Fries le reconnaît : ce succès s’est fait au détriment du nombre de journalistes texte. Le « plan de départs volontaires » a permis de réduire les dépenses de personnel, mais il s’est traduit par une surcharge de travail et une pression plus forte pour les salariés, tandis que les capacités internes de l’AFP se sont réduites.
Premier constat : le Plan Fries 2.0 n’identifie aucun produit qui générera une croissance significative et ne fixe pas d’objectifs de revenus concrets, comme dans le premier plan. Au contraire, il contient des avertissements répétés selon lesquels la vidéo et le fact-checking ont largement épuisé leurs principales opportunités de croissance.
Le Plan Fries 2.0 fixe trois priorités stratégiques qualifiées de « nouvelles », qui ne sont pourtant pas vraiment nouvelles.
« Consolider la position de leader de l’AFP dans la lutte contre la désinformation » et « Faire de l’AFP l’agence préférée des médias, et celle dont ils ne peuvent se passer » sont plutôt de nature défensive. Et si « Augmenter la part des clients hors médias dans les recettes commerciales » semble être une voie pour chercher de nouvelles recettes, c’est par le biais d’activités qui ne relèvent pas de la mission d’intérêt général de l’AFP d’informer le public. Et elles pourraient même - par exemple en proposant des services de communication aux entreprises et aux institutions - se retrouver en porte-à-faux avec la mission originelle de l’AFP…
Pas de véritables nouvelles recettes
Une chose est sûre : il n’y a rien de nouveau dans cette priorité, hormis l’idée d’aller solliciter des fondations philanthropiques pour obtenir de l’argent afin de soutenir notre journalisme... Seul point rassurant, M. Fries reconnaît que cela ne devrait être utilisé que pour développer de nouveaux projets et non pour combler des trous dans notre couverture, tout en restant compatible avec les principes et les valeurs de l’AFP.
Sans perspective de revenus supplémentaires significatifs, l’AFP devra naturellement envisager de réduire ses coûts pour faire face à la hausse de ses dépenses, ce qui, selon le PDG, est en grande partie dû à l’augmentation des « charges » de personnel, alors que l’agence est confrontée à une forte inflation.
Le Plan Fries 2.0 présente donc des facettes inquiétantes sur la façon dont il entend réduire les coûts via « quatre projets internes prioritaires ».
Le premier est de « créer de nouvelles marges de manœuvre en changeant notre organisation et nos méthodes de travail ». Derrière la novlangue s’empilent alors les concepts habituels du manager « workflows », « modernisation », « synergies » et « dématérialisation ». Alors certes, une utilisation massive des systèmes de traduction automatique (que nous utilisons déjà pour les légendes lors de la numérisation de photos d’archives) pourrait certainement créer une « nouvelle marge de manœuvre » si elle permet à la direction de réduire le personnel. Mais peut-on croire sérieusement que cela ne va pas nuire à la qualité de notre couverture, sans parler de la cohésion de l’agence ?
Menaces sur la couverture de l’AFP
Un autre risque surgit quand M. Fries affirme que « l’AFP doit continuer à s’interroger sur l’étendue de sa couverture éditoriale » (c’est souligné aussi dans le projet).
Bien sûr, le PDG se garde bien de dire ce qui pourrait être coupé ou de menacer une des six langues de production de l’AFP... Mais il insiste sur le fait que la dégradation de la situation économique oblige l’AFP à agir rapidement, avec « des décisions attendues à la fin du premier trimestre 2023 ». Et dans sa « Nouvelle feuille de route pour la modernisation de l’AFP », la direction a précisé qu’elle voulait lancer des chantiers sur la couverture en arabe et en espagnol, et sur les services Documentation et Infographie.
Sous le prétexte de « produire moins mais mieux », on peut donc craindre de nouvelles suppressions de postes et s’interroger sur la capacité de l’AFP à pouvoir mener à bien sa mission d’intérêt général, surtout si l’agence veut en même temps développer ses activités pour les entreprises et les institutions.
En résumé, le Plan Fries 2.0 regorge de mesures qui seront pénibles pour le personnel tout en reconnaissant qu’il n’a pas de vraies solutions pour augmenter les gains de l’agence à moyen terme. Tout le monde connaît l’expression : « On n’obtient rien sans peine ». Le PDG, lui, nous promet beaucoup d’efforts mais pas de récompense.
Inflation : l’État sollicité trop tardivement
Dans la conclusion de son projet stratégique, M. Fries finit par reconnaître que le mode de financement de l’AFP – qui tire une part importante de ses revenus de l’État français - ne peut pas fonctionner dans un environnement inflationniste. Peu après l’adoption du dernier Contrat d’objectifs et de moyens (COM), SUD avait, avec d’autres syndicats, souligné que ce système dans lequel l’État gèle le montant pour le financement des missions d’intérêt général sur une période de cinq ans (2019-2023), sans tenir compte de l’inflation, serait un désastre pour l’agence. Aujourd’hui, M. Fries appelle à prévoir dans le prochain COM, qui débutera en 2024, un mécanisme pour ajuster le montant en fonction de l’inflation. Bravo !
Mais qu’en est-il de 2023 ? Année au cours de laquelle les salariés de l’AFP vont probablement encaisser une nouvelle vague inflationniste ? Malheureusement, le Plan Fries 2.0 ne dit rien...
Et pour cause ! La direction avait déjà clairement indiqué ces derniers mois aux syndicats qu’elle n’envisageait pas d’aller demander à l’État français de l’argent frais pour compenser intégralement le coût désormais plus élevé de sa mission. Un message qui a d’ailleurs sans doute plu aux administrateurs de l’AFP, notamment ceux de l’État, qui ont voté en faveur de la reconduction de M. Fries.
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Paris, le 21 novembre 2022
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
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