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Il aura fallu d’une lettre comminatoire de l’Inspection du travail pour que l’AFP daigne enfin bouger sur le dossier de la précarité. Lors d’une réunion avec les syndicats, convoquée à la va-vite le 22 décembre, la direction a annoncé la titularisation de cinq précaires et l’ouverture de négociations à partir du 7 janvier 2011. C’est largement insuffisant, mais un premier pas.
Auparavant, l’Inspecteur du travail Gérard Filoche avait vertement critiqué la situation des précaires, constatant des « infractions caractérisées »[1].
« Pour une agence comme la vôtre, une solution autre qu’un procès-verbal et une sanction pénale ne serait-elle pas souhaitable ? », avait-il demandé.
Qu’il s’agisse comme ici de l’emploi ou (comme récemment révélé) du paiement de l’indemnité congés payés[2], l’AFP prend des libertés avec le droit du travail. Sur la précarité, la direction prétexte de « contraintes financières » pour justifier l’injustifiable. Mais les contentieux en cours, voire les condamnations exécutoires, ne se limitent pas aux seules questions d’argent : quand l’AFP est épinglée par la Halde ou la Cnil, quand elle est condamnée par les Prud’hommes, par des cours d’appel ou même des tribunaux étrangers[3], c’est - comme nous l’avons déjà souligné - tout un système de pratiques souvent immorales et parfois illégales qui est en cause.
A chaque fois, la crédibilité de l’AFP (« la défense de la marque ») en prend un coup ! Tout comme l’adhésion du personnel à un projet d’entreprise pertinent, qui fait toujours défaut.
La précarité nous concerne tous !
La précarité instaure la peur. Elle restreint la liberté d’expression dans l’entreprise et pèse sur nos conditions de travail et de rémunération. Si l’on parle surtout de celle des journalistes, elle concerne aussi les autres métiers de l’agence, avec le recours à des CDD, des intérimaires, voire des stagiaires. SUD défend le respect du principe de l’égalité : les salariés permanents d’un même service doivent tous avoir le même contrat de travail. Quelques exemples montrent les enjeux :
o Service Vidéo (AFPTV)
SUD a demandé que la direction remette aux représentants du personnel un « organigramme du service Vidéo et de son réseau province, en précisant la fonction et la nature du contrat de travail de chaque personne. » Pourquoi ? Parce que le service AFPTV, censé incarner la modernité de l’agence, est géré comme une « start-up » : conditions de travail déplorables, horaires à rallonge, mise en concurrence des CDI avec des précaires qui sont obligés d’accepter cette situation dans l’espoir lointain d’une embauche. Le tout au mépris des normes légales.
o Banlieue parisienne
Citons l’Inspecteur du travail : « J’ai aussi enquêté et établi que 4 "pigistes" dans les sept départements de la région parisienne travaillaient à temps plein toute la semaine comme correspondants de l’agence quasiment d’astreinte 24 h sur 24, parfois depuis 2, 3 ou 4 ans. C’est le cas dans 4 départements sur 7. Et d’autres, au nombre de 9, sont "embauchés de week-end". Pour compléter : ils sont là depuis plusieurs mois ou années, en attendant (pour 7 d’entre eux sur 9) de prendre la succession de ceux qui travaillent en semaine. C’est un système de rotation et de promotion qui n’a rien à voir avec des motifs de CDD. D’autant que ces postes étaient auparavant des CDI. »
o Province
Le réseau province de l’AFP a subi des mutations dangereuses et des suppressions de postes. Outre les sept bureaux régionaux, il reste 13 bureaux détachés qui en dépendent.
Principaux bureaux détachés fermés depuis 2003 : Rouen, Nancy, Reims, Besançon, Limoges, Perpignan. La présence de l’AFP y est désormais assurée par un « pigiste permanent ». Cela nécessite disponibilité et réactivité constantes. Comme en banlieue parisienne, il s’agit d’une utilisation abusive du « statut » de pigiste.
De nombreux pigistes photo sont dans une situation semblable, certains depuis plus de dix ans.
o Services hispanophones
L’accord de 1996 qui fixait le nombre de journalistes hispanophones au siège parisien n’est plus respecté. Des CDD assurent régulièrement la « grande nuit », parfois en tant que chef de vacation. Les Sports et l’Infographie ont également recours à des CDD de façon récurrente. Tout comme beaucoup d’autres services…
Arrêtons les suppressions d’emploi !
D’où vient la précarité ? Selon un document remis aux élus, l’AFP comptait au 31 décembre 2009 un total de 1.356 salariés statut siège (CDI et CDD).[4] Au 31 décembre 2005, le même type de document avait recensé 1.428 salariés. Soit environ 70 suppressions d’emploi en quatre ans (moins 5%), dont une vingtaine de postes de journalistes et plus de 25 techniciens. Ceci alors que l’agence ne cesse de lancer de nouveaux produits et d’utiliser de nouvelles technologies.
En cause, les Contrats d’objectifs et de moyens 2003-2007 et 2009-2013 (signés avec l’Etat), qui incitent l’agence à « maîtriser » l’évolution de la masse salariale. Les technocrates de Bercy qui surveillent l’exécution de ce diktat ne se soucient guère de notre mission d’informer, ni de nos conditions de travail et de rémunération. Pour eux, l’important c’est les comptes (l’AFP est bénéficiaire depuis 2005) et le nombre d’emplois déclarés. Voilà pourquoi les représentants du gouvernement ont donné leur satisfecit à Pierre Louette (PDG de 2005 à 2010), vantant son « bilan extrêmement positif ».[5]
Seulement, ce bilan est largement construit sur l’opacité des données fournies, voire sur la triche et le non-respect du droit. Si les CDD sont comptabilisés dans les effectifs de l’agence, les pigistes ne le sont pas. Ils constituent une grande part de la précarité « invisible » à l’AFP. Supprimer un poste de CDI et confier les mêmes tâches à un pigiste, c’est du travail dissimulé.
Il n’y aura pas de cadeaux !
Seule la menace de sanctions de la part de l’Inspection du travail a fait réagir la direction. Mais celle-ci reste attachée à la logique « on n’embauche que quand il y a des départs ». Pour aller plus loin, l’Intersyndicale doit désormais construire un rapport de force et envisager des actions. D’ores et déjà, elle a affirmé son soutien résolu à ceux « qui ont témoigné au nom de tous »[6]. Ils doivent être titularisés sans délai !
Pour la suite, SUD refuse que les syndicats choisissent « leurs » précaires qui seraient prioritaires vis-à-vis d’autres en vue d’une embauche par étapes. Le respect du droit ne se négocie pas. Nous combattrons tout accord d’entreprise qui viserait à cacher la précarité à moindres frais, par exemple en fixant des règles situées en deçà de la loi.
La direction doit enfin fournir les informations permettant de réaliser la « radiographie complète » de la précarité. Il s’agit d’examiner chaque situation personnelle et d’identifier les services et secteurs en sous-effectifs chroniques (où, par conséquent, l’emploi de précaires est illicite).
– CDD : Le recours aux CDD doit se faire dans les limites strictes fixées par la loi. Tout CDD ayant cumulé plus de six mois d’ancienneté doit être considéré comme titularisable (avec garantie de réemploi). Tout CDD ayant cumulé 12 mois doit être embauché.
– Pigistes : La radiographie de la précarité doit recenser les pigistes dont l’AFP est l’employeur principal. Parmi eux, il faut identifier ceux qui sont disponibles pour l’AFP à temps plein, afin de les requalifier en CDI statut siège.
Pour les autres pigistes dont l’AFP est l’employeur principal, les négociations peuvent porter sur le fait de savoir s’ils ont vocation à évoluer vers un statut de CDI statut siège (avec certaines garanties, et peut-être des CDI à temps partiel) ou s’ils vont rester pigistes (des « vrais » pigistes, payés à la tâche). L’AFP doit enfin adopter un barème de piges unifié, révisable chaque année (en suivant au moins les hausses salariales des CDI). Une fois clarifié le rôle de chacun, l’agence doit garantir le maintien du volume de piges.
– Stagiaires : Halte à l’emploi de stagiaires sur des postes de CDI !
Non à la précarité. Battons-nous pour le respect du droit !
Paris, le 3 janvier 2011
SUD-AFP (SUD Culture & Médias Solidaires)
[1] Lettre de Gérard Filoche, publiée par l’intersyndicale de l’AFP.
[2] Cf. - L’AFP doit à ses salariés des milliers d’euros
[3] Dernière condamnation en date : celle par un tribunal américain, pour l’utilisation sans autorisation de clichés d’un photographe haïtien récupérés sur Twitter. Cf. http://www.rue89.com/node/182895
[4] Malgré nos demandes répétées, aucune information n’est fournie sur les postes relevant de statuts locaux (ou de filiales) à l’étranger. SUD estime leur nombre à quelque 600 journalistes et 200 non-journalistes.
[5] Cf. communiqué de F. Mitterrand, http://www.culturecommunication.gou...
[6] Cf. texte intersyndical : Ouverture de négociations, mais peu de titularisations