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Le « Grand Accord » a 5 ans – Quel bilan ?

lundi 21 mars 2022

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Le 10 mars 2017, la direction de l’AFP et les syndicats CGT, SNJ et CFDT ont signé un accord d’entreprise unique censé remettre à plat la quasi-totalité des accords sociaux du personnel « statut siège » [1]. Cinq ans après, quid de nos salaires, de nos conditions de travail, de nos perspectives d’évolution de carrière ? SUD vous présente un état des lieux des faits marquants.

Pouvoir d’achat en berne

Le monde d’avant

Avant la crise de 2008, nos salaires suivaient grosso modo l’évolution des prix (voir graphique ci-dessous). Le poids important du syndicalisme combatif dans notre branche permettait d’obtenir au niveau de la presse nationale (SPQN) des hausses régulières qui rattrapaient l’inflation. A l’AFP, cela se traduisait par une, voire deux augmentations de la valeur du point d’indice par an.

Pour les personnels techniques et administratifs, ce dispositif efficace était garanti par leur convention collective ; pour les journalistes, il s’agissait d’un usage d’entreprise, comme le rappelle l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 septembre 2019 sur le contentieux SPQN, mené victorieusement par la CGT, FO et SUD. De plus, selon un autre usage, la plupart de nos primes étaient elles aussi régulièrement réévaluées.

Évolution en % du coût de la vie (Indice Insee) et des barèmes des salaires AFP

N.B. : les hausses des barèmes 2020 et 2021 sont le fruit de l’action judiciaire SPQN

L’AFP du « Grand Accord »

L’accord de 2017 acte le démantèlement de la politique salariale protectrice conquise par nos aînés. Se substituant aux conventions, accords et usages antérieurs, le « Grand Accord » ne prévoit plus aucun dispositif contraignant d’augmentations collectives.

Résultat : collectivement, nous ne bénéficions plus d’aucune hausse significative qui permettrait de compenser l’inflation. Au lieu de cela, la direction nous fait miroiter au fil des NAO (Négociations annuelles obligatoires) :

  • une amélioration de notre pouvoir d’achat grâce à des primes et promotions individuelles, attribuées à quelques salariés choisis par la direction,
  • une « participation » liée aux très incertains résultats financiers ou encore le versement (pour les journalistes) d’une petite portion des « droits voisins » accordés par Google et peut-être plus tard par d’autres GAFAM,
  • quand ce n’est pas l’attribution ponctuelle de chèques cadeaux défiscalisés.

La plupart de ces mesures ne contribuent pas aux cotisations pour financer nos systèmes de protection sociale ou notre future retraite.

En outre, le « Grand Accord » a fortement révisé à la baisse les salaires d’embauche des personnels techniques et administratifs.

Les propositions SUD

SUD sollicite votre soutien pour promouvoir une politique salariale offensive :

  • Les salaires de tous doivent être régulièrement augmentés, pour au moins compenser l’inflation et stopper le déclassement social que nous subissons depuis des années [2].
  • Les salaires d’embauche doivent être révisés à la hausse, en fonction du niveau de qualification des nouvelles recrues et du coût de la vie.
  • Les automatismes garantissant une progression salariale doivent être améliorés et étendus sur la 2e partie de la vie professionnelle, au-delà des 20 premières années. Cela permettra de combattre les discriminations liées aux promotions « au choix » ou aux carrières des femmes et de tenir compte du fait que les contre-réformes des retraites ont considérablement allongé notre vie de travail salarié (aujourd’hui 43 annuités requises pour la retraite à « taux plein »).

Repos, horaires, conditions de travail…

S’inscrivant dans la logique de progrès social depuis 150 ans (voir graphique ci-dessous) les accords AFP relatifs à l’application de la loi de 2000 sur l’Aménagement et la réduction du temps de travail fixaient notre durée légale du travail à 35h, avec un nombre différent de jours de congés payés et ARTT pour les différentes catégories professionnelles.

Situation illicite : en réalité, les journalistes de production et certains cadres assuraient des horaires nettement plus longs (souvent 45 heures par semaine), sans compensation financière ou repos supplémentaire.

Au lieu de créer des emplois et de réduire le temps de travail dans les services concernés, l’accord de 2017 a légalisé ces horaires excessifs et généralisé l’augmentation du temps de travail dans la journée, dans la semaine et dans l’année.

Pour certains d’entre nous, cet allongement a été « amorti » par deux mesures :

  • L’instauration d’un congé d’ancienneté : 2 jours ouvrables après 5 ans de présence, 4 jours ouvrables après 10 ans de présence, 6 jours ouvrables après 15 ans de présence [3].
  • L’instauration du forfait jours : les journalistes et les cadres qui adhèrent à ce dispositif bénéficient de jours de repos supplémentaires, toutefois au prix d’horaires et de rythmes de travail qui risquent de mettre en danger leur santé.

Résumé des reculs sociaux :

Journalistes (J) : tous bénéficiaient de 44 jours ouvrables (= 37 jours ouvrés) de congés payés et de 18 jours de repos (ARTT). Le « Grand Accord » divise les J en différents groupes. La nombre de jours de congés payés est resté inchangé, mais…

  • Les journalistes ayant opté pour le forfait jours ont des horaires à rallonge, très vaguement encadrés, avec 12 jours de repos, soit une perte totale de 6 jours (hors éventuel congé d’ancienneté).
  • Les journalistes en production ou encadrants n’ayant pas opté pour le forfait jours travaillent 39 heures par semaine, avec 7 jours d’ARTT par an, soit une perte de 11 jours (hors éventuel congé d’ancienneté).
  • Les autres journalistes (notamment sur les desks) n’ayant pas opté pour le forfait jours travaillent 35 heures par semaine, avec 4 jours d’ARTT par an, soit une perte de 14 jours (hors éventuel congé d’ancienneté). Cela concerne aussi tous les alternants : ils ne sont pas éligibles au forfait jours.

Cadres administratifs (CA) : ils bénéficiaient également de 44 jours ouvrables de congés payés et de 18 jours d’ARTT. Les CA qui optent pour le forfait jours ont perdu 6 jours de repos (hors éventuel congé d’ancienneté). Ceux qui travaillent au décompte horaire restent aux 35 heures par semaine, mais ont perdu 14 jours de repos (hors éventuel congé d’ancienneté).

Cadres techniques (CT) : grands perdants du « Grand Accord », leur nombre de jours ouvrables de congés payés passe de 50 à 44, soit une perte de 6 jours (hors éventuel congé d’ancienneté). A cela s’ajoute une perte de jours d’ARTT. Elle est de 6 jours pour les CT au forfait jours et de 14 jours pour les CT restés aux 35h !

Employé-e-s de presse : les EP sont resté-e-s aux 35 heures et à 44 jours ouvrables de congés payés, mais ne bénéficient plus que de 4 jours d’ARTT, soit une perte de 10 jours de repos (hors éventuel congé d’ancienneté).

Ouvriers des transmissions (OT) : autres grands perdants, leur nombre de jours ouvrables de congés payés est passé de 51 à 44, soit une perte de 7 jours (hors éventuel congé d’ancienneté). De plus, ils ont perdu 10 jours d’ARTT pour des horaires inchangés de 35h par semaine.

Cette présentation schématique ne tient compte ni de la situation des expatriés ni des dispositions transitoires dont bénéficiaient les EP et OT embauchés avant le 1er avril 2017. On retiendra aussi que pour les salariés n’étant pas au forfait jours, les pauses rémunérées ont été réduites. Enfin, nous ne développons pas d’autres points de l’accord qui impactent négativement les conditions de travail, comme par exemple la multiplication des astreintes.

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Perspectives de carrière

Si le plan de carrière des journalistes a survécu au rabotage général du « Grand Accord », tel n’est pas le cas pour les progressions automatiques dont bénéficiaient les personnels techniques et administratifs. Cela concerne notamment les ouvriers et le plan de carrière des employé-e-s, un plan très protecteur que les EP avaient conquis grâce à leur grande grève de 2007 [4].

Toutefois, même les journalistes n’ont pas été épargnés par les mesures d’économies. L’accord de 2017 officialise en effet de nombreuses pratiques que la direction avait imposées auparavant. Exemple : par le passé, de nombreux journalistes bénéficiaient d’une promotion (= passage à l’échelon supérieur) lors de leur nomination à un poste à responsabilités. Le « Grand Accord » révise à la baisse les échelons correspondant à de tels postes et prévoit un système compliqué de délais avant l’acquisition définitive du nouvel échelon.

L’un des points les plus ardemment discutés dans la négociation sur le « Grand Accord » concernait l’expatriation. Grand atout de l’AFP, son réseau mondial lui permet de fournir davantage d’informations internationales que la plupart de ses concurrents et clients. Pour nombre de journalistes, la perspective de pouvoir occuper des postes à l’étranger constituait l’un des principaux attraits de la carrière d’agencier à l’AFP. Seulement, si l’on gère l’Agence selon des critères essentiellement financiers, l’expatriation constitue aussi un formidable gisement de potentielles économies. Car l’expatriation sous « statut siège » est « chère », et l’emploi de salariés sous « statut local » permet à la direction de réaliser d’importantes économies.

Les signataires de l’accord avaient imaginé un dispositif censé « sanctuariser » l’expatriation :

« L’AFP s’engage à conserver un réseau de postes ouverts à l’expatriation, au prorata minimal de 28% du nombre de journalistes « siège » (ayant un CDI AFP de droit français). L’AFP s’engage également à pourvoir ces postes par des journalistes de statut « siège » à hauteur minimale de 22% de la moyenne, calculée sur les trois dernières années du total des journalistes « siège » (ayant un CDI AFP de droit français). »

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Garantie suffisante ? SUD avait souligné que ce dispositif pouvait être contourné facilement, en baissant le nombre de CDI statut siège. Hypothèse déjà prévisible en 2017 et désormais devenue réalité en vertu du Plan Fries… Et sur sa lancée, la direction ne s’est pas arrêtée, car aujourd’hui elle ne respecte même plus ses engagements d’il y a cinq ans [5].

On peut, on doit faire autrement !

Prétendument censé « simplifier » les règles existantes, l’accord a surtout raboté des droits, créé de nouvelles inégalités et parfois des usines à gaz, et nous en sommes déjà arrivés à son 11e avenant…

SUD s’oppose au « travailler plus pour gagner moins ». Logiquement, nous avons combattu les reculs sociaux du « Grand Accord », en partageant les objectifs des syndicats nationaux, partis politiques et associations qui prônent la réduction du temps de travail dans la journée, la semaine, l’année et la vie, sans perte de salaire.

Le personnel de l’AFP n’avait-il que le choix d’accepter cet « accord défensif » (comme l’ont qualifié ses signataires) ? Force est de constater que la signature de l’accord du 10 mars 2017 par trois syndicats n’a pas freiné la course vers de nouvelles mesures d’économies sur le dos du personnel.

Après le « Grand Accord », le « Plan Fries »  : transcrit dans le Contrat d’Objectifs et de Moyens 2019-2023, il se traduit par la poursuite du quasi-gel des barèmes des salaires, par des suppressions d’emplois « statut siège » et par de nombreuses « réformes » qui impactent négativement nos conditions de travail : réforme des desks, de la rédaction, de la DRH, de la DSI…

SUD a régulièrement résisté à ces projets et démontré qu’ils sont en lien avec les choix néolibéraux des gouvernements français successifs, de la Commission européenne et de nos PDG [6].

Lors des élections professionnelles 2018, un an après la signature du « Grand Accord », la représentativité de SUD a atteint 17,37%, contre 11,15% auparavant. Une belle progression, mais pas encore suffisante pour nous permettre d’empêcher la signature de nouveaux accords de régression sociale. Pensez-y en octobre prochain, lors du renouvellement des élus au CSE (Comité social et économique) !

Revenons au progrès social !
Aidez-nous à renforcer l’action syndicale cohérente, efficace et assidue !
Adhérez à SUD [7] !

Paris, le 21 mars 2022
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)
contact@sud-afp.org


[1Cf. « Le “Grand Accord” de 2017 et ses avenants », documentation SUD

[2Le rapport salaire AFP/Smic s’est fortement dégradé, voir notre analyse

[3Une semaine = 6 jours ouvrables et le dimanche ou 5 jours ouvrés et le week-end

[4Le plan de carrière EP de 2007 reprenait les propositions de la délégation SUD – Voir nos explications

[7Comment adhérer à SUD ? – Mode d’emploi